Un renversement discret mais lourd de sens s’est produit à Québec au cours des années 1990. Pour la première fois depuis au moins 50 ans, la mobilité résidentielle entre la ville et la banlieue s’est soldée à l’avantage de la première : entre 1991 et 2001, un plus grand nombre de personnes ont quitté les six arrondissements périphériques pour se relocaliser dans La Cité et Limoilou, que l’inverse. La ville attire de nouveau !
Cette renaissance urbaine n’est pas limitée à Québec. La plupart des villes nord-américaines voient renaître certains de leurs quartiers centraux. L’économie du savoir et de la culture constitue sans doute le premier moteur de ce nouvel élan, comme l’illustre le quartier Saint-Roch. Plus que d’autres, les activités liées au savoir et à la culture ont tendance à s’agglomérer, de préférence dans des lieux ayant un certain cachet.
Personnes seules
D’autres facteurs contribuent à rendre attrayante la vie urbaine. Les ménages non familiaux, souvent composés d’une seule personne, continuent d’augmenter. Plusieurs de ces ménages préfèrent la proximité aux « lumières de la ville », quitte à se contenter d’un espace résidentiel moindre. De plus, la formule du condominium, qui permet d’être propriétaire, favorise ce choix.
L’augmentation de la participation des femmes à la main-d’oeuvre nourrit également la renaissance urbaine. Même si de nombreuses femmes au travail et mères de jeunes enfants vivent en banlieue, en général les travailleuses vivent plus près du centre des villes que les travailleurs. Les Yuppies et les Dinks (Double Income No Kids) animent le coeur de la cité.
Cette nouvelle vigueur des quartiers centraux face aux banlieues se développe alors même que celles-ci se densifient et acquièrent des traits urbains. Il en va ainsi à Québec des corridors du métrobus qui mènent à Sainte-Foy, Charlesbourg et Beauport. La vie urbaine s’implante en banlieue.
Par ailleurs, une ville est d’autant plus dynamique et attrayante que sa région l’est aussi. Québec vit en interdépendance avec les petits pôles urbains qui forment avec elle une « ville-région » de plus d’un million de personnes. Par exemple, le nombre de résidants de Québec qui travaillent à Sainte-Marie de Beauce augmente plus vite que le nombre de résidants de Sainte-Marie qui travaillent à Québec.
Cependant, le moteur même du renouveau urbain fait, qu’en toute logique, les très grandes villes jouissent d’avantages comparatifs supérieurs à ceux des plus petites. Au Québec, l’attrait de Montréal pour les industries culturelles est grand, d’autant plus qu’en ce domaine, la croissance nourrit la croissance. Aussi, les couples où les deux conjoints sont très scolarisés ont de meilleures chances de trouver des emplois à leur mesure dans une très grande ville.
Rester attrayante
Pour rester attrayante, une ville comme Québec doit compenser sa petite taille par d’habiles stratégies. Elle doit cultiver ses complémentarités avec les très belles régions qui l’entourent. Ses employeurs doivent se concerter pour aider les conjoints scolarisés à se trouver chacun un emploi. La beauté du site d’une ville et la richesse de son patrimoine constituent des attraits majeurs. Cependant, ces « richesses naturelles » ne suffisent plus. Les attraits d’une ville, à l’ère de l’économie du savoir et de la créativité, passent d’abord par la qualité de ses ressources humaines.
Professeur d’aménagement et de géographie à l’Université Laval

Paul Villeneuve, 28 décembre 2004. Reproduit avec autorisation



4 janvier 2005 à 16 h 45
Surprenant mais encourageant. L’étalement urbain semble tellement plus actif que jamais…
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4 janvier 2005 à 17 h 39
Ce qui peut être trompeur dans cet article, c’est la notion de « migration »… seuls sont comptés les gens qui partent de la banlieue pour aller vers le centre-ville (l’arrondissement La Cité) et vice-versa.
Ça ne compte pas 1) les gens des régions qui viennent s’installer à Québec (vont-ils en banlieue ou au centre-ville?) 2) les enfants de familles en banlieue qui quittent le nid familial, mais décident de rester en banlieue 3) le nombre de personnes qui quittent la ville et la banlieue de Québec pour aller dans une autre région 4) le taux de mortalité des habitants de la banlieue vs la ville
Aussi, il est facile de comprendre la migration banlieue-ville (les personnes vieillissantes vont en ville y chercher des services); toutefois, les personnes vieillissantes n’ont plus beaucoup d’années à vivre, de sorte qu’elles sont « remplacées » par la migration des gens de la banlieue; cela ne fait pas nécessairement augmenter la population citadine.
Le calcul de solde migratoire, c’est un peu comme si on disait que l’hébergement pour personnes âgées était de plus en plus populaire parce qu’il y a davantage de gens qui migrent des bungalows vers les centres pour personnes âgées que l’inverse :)
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4 janvier 2005 à 19 h 34
Bonnes remarques Ludovic. En effet, je suis un peu surpris par cet article. Il y a bien quelques condos qui se sont ajoutés au centre-ville, mais très peu de logements, et tout cela ne compense probablement pas pour le nombre de maisons qui se construisent.
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4 janvier 2005 à 21 h 55
D’accord avec vous deux.
La ville se repeuple peut-être de quelques vieux (condos) et de quelques jeunes (logements). Mais dans la banlieue se trouve la population « dynamique », celle qui dépense et paie des impôts, élève des familles, achète chez Réno et Maxi, possède une mini-van, écoute la télé le soir en pleurnichant sur les tsunamis tout en se posant des questions de plus en plus vitales sur leurs enfants-roi. Cette population enrichit la ville de taxes et réclame des droits de parole partout où elle le peut. Elle sent le tapis lui glisser sous les pieds ainsi que sa chère pelouse se faire couper l’herbe sous le pied.
La vie en ville est le rêve des pauvres jeunes, des pauvres vieux et de quelques illuminés un peu « tendance ». En banlieue, c’est là que ça se passe pour la majorité qui a le moindrement d’argent. C’est là que se trouve la clientèle-cible des grandes surfaces et des institutions de crédit.
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5 janvier 2005 à 13 h 28
Pour avoir un peu regardé les données sur lesquelles se base cet article, effectivement, le phénomène s’accompagne d’un vieillissement légèrement plus rapide dans les arrondissements centraux de la ville que dans la « banlieue ».
Toutefois, ce qui est remarquable dans ces données, c’est qu’il s’agit d’une inversion de tendance. Est-elle uniquement liée au vieillissement de la population et au désir des personnes âgées de se rapprocher des services? Probablement pas, mais quand bien même, cela rendrait urgente une réflexion sur l’organisation urbaine, et notamment le fait que les banlieues ne sont pas un milieu adapté aux personnes âgées…
L’autre information importante, c’est qu’on parle ici de migrations à l’intérieur de l’agglomération, donc de personnes qui connaissent bien la ville, et font un choix de localisation résidentielle en toute connaissance de cause. Ce n’est pas forcément le cas de ceux qui viennent d’ailleurs. Si on grossit un peu le trait, les « débutants » choisissent peut-être la banlieue, mais les « experts » se replient vers le centre. Autrement dit, ceux qui ont une certaine ancienneté et une bonne connaissance de Québec préfèrent le centre-ville à la banlieue. Et c’est un phénomène récent. On peut en tirer des conclusions intéressantes, non?
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5 janvier 2005 à 13 h 59
Ma crainte dans ce phénomène, et je l’ai aussi exprimé dans des commentaires précédents, c’est de voir que cette analyse, combinée aux vôtre, tendent à faire la preuve d’une « polarisation » de l’habitation entre les quartier très centraux et les banlieues, au détriment des quartiers « entre deux », là où se situaient les banlieues d’il y a 50 ans: St-Malo, Duberger, Les Saules, Limoilou éloigné (St-Pascal, St-Pie-X, St-Rodrigue), le vieux Beauport, et diverses parties de Neufchâtel et Charlesbourg.
Ces quartiers vont peut-être finir par être les victimes de cette tendance et en souffriront d’avoir mal vieilli, de s’appauvrir, de se briser et d’en fuir…
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7 janvier 2005 à 12 h 21
«Cette nouvelle vigueur des quartiers centraux face aux banlieues se développe alors même que celles-ci se densifient et acquièrent des traits urbains. Il en va ainsi à Québec des corridors du métrobus qui mènent à Sainte-Foy, Charlesbourg et Beauport. La vie urbaine s’implante en banlieue.»
Super!
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