Isabelle Porter
Le Devoir
Québec — Malgré les succès de la revitalisation du quartier Saint-Roch, le mariage entre arts et entreprises technos n’y est toujours pas consommé. Le rêve d’un Saint-Roch technoculturel du maire Régis Labeaume reste encore à faire.
«On parle souvent du mélange entre la technologie, la culture et les affaires à Québec comme étant quelque chose de très actuel, mais il n’y a pas de réel contact entre ces gens-là», avance Éric Couture, porte-parole du centre d’artistes la Chambre blanche. Spécialisée dans l’art Web, la Chambre blanche constate bien malgré elle qu’elle est méconnue de la plupart des entreprises technos du secteur. Une situation partagée par plusieurs autres centres d’artistes. «Il y a un magnifique département de recherche et développement du côté des arts et de la technologie, mais ça n’aboutit jamais à un produit», poursuit Couture.
Séparés par une frontière invisible, les deux mondes s’entendent au moins pour dire… qu’un monde les sépare. Philippe-Antoine Lehoux, le responsable d’une compétition de création de jeux vidéo du nom de Bivouac urbain estime que «ce n’est pas une rencontre qui est facile à faire» et que les deux milieux se connaissent peu. Lehoux a néanmoins cherché à donner une place aux arts visuels dans son festival. Cette année, les concurrents devaient s’inspirer d’une oeuvre de l’artiste Martin Bureau projetée sur la façade de l’église Saint-Roch et un parcours en arts interactif avait été organisé. Or, les volets «jeu» et «art» étaient séparés dans la programmation et les gens n’ont pas travaillé ensemble.
D’emblée, son parcours n’a pas eu le succès escompté. Après avoir longtemps cherché le mot «vernissage» à l’autre bout du fil, il explique qu’il n’en avait pas organisé parce qu’il ne savait pas que «c’était important pour les artistes». Dès lors, leurs amis ne sont pas venus. Son discours fait penser à ce film français intitulé «Le goût des autres», dans lequel un homme d’affaires passionné d’arts peine à tisser des liens dans le milieu. «Ce sont des cultures différentes», avance-t-il. «Quand tu fais des études en informatique, t’as pas nécessairement les mêmes acquis qu’un artiste en arts visuels.»
Responsable des communications chez Ubisoft Québec, Émile Gauthier est plus nuancé et prétend même avoir des collègues qui fréquentent les vernissages des centres d’artistes de la basse-ville. Ubisoft distribue d’ailleurs chaque année à l’interne des laissez-passer pour le Mois Multi, un événement phare dans le milieu des arts médiatiques. «Quand même, la communauté de jeux est encore jeune à Québec, ajoute-t-il. Il y a place à encore plus d’événements de réseautage.»
La question n’est pas anodine et revêt même une importance politique puisque le maire Régis Labeaume s’est donné pour objectif de faire de Saint-Roch un quartier de «technoculture» où artistes et «techies» mêleraient leurs talents afin de multiplier « les Moulins à images ».
Si personne ne semble prêt à dire que le rêve est réalisé, beaucoup y croient et certains ne lésinent pas sur les techniques de drague pour conquérir l’autre monde. La Chambre blanche, par exemple, lance ce soir une véritable campagne de séduction des entreprises technos du secteur. Baptisé «Le Cube», le projet vise à la fois à tisser des liens avec le milieu en vue d’éventuels projets communs et à pourvoir le Centre en nouvelles sources de financement. On a donc décidé d’organiser des rencontres pour mettre en valeur le travail des artistes avec, comme hameçons, la promesse de nouvelles sources d’inspiration, des bouchées gastronomiques et du vin d’importation.
Le président de l’entreprise Web iXmédia, Carl-Frédéric De Celles a accepté d’en être le président d’honneur. «Malheureusement, les artistes en arts visuels restent un peu dans leur bulle», dit-il. «On manque de lieux où se rencontrer sur des projets communs.» Soucieux d’éprouver les préjugés dans les deux sens, il espère que le projet mènera à des projets concrets. «Je ne veux pas juste être le gars à cravate qui amène ses amis et de l’argent», lance-t-il à la blague.
Établi dans le quartier Saint-Roch depuis une bonne trentaine d’années, le milieu des arts visuels a été au coeur de la 1re phase de revitalisation du secteur. En plus d’y faire installer l’École des arts visuels et de regrouper les centres d’arts dans le complexe Méduse, l’administration de Jean-Paul L’Allier avait même créé un programme pour soutenir financièrement les artistes qui y élisaient domicile.
Certaines entreprises technos sont là depuis un moment, mais l’industrie du jeu vidéo est arrivée plus tard et ses travailleurs n’ont pas le même enracinement dans le quartier. Le maire Labeaume espère d’ailleurs en convaincre un maximum de s’installer dans le futur écoquartier de Pointe-aux-Lièvres juste à côté.
Beaucoup d’observateurs soulignent le rôle pivot joué par certains lieux branchés comme le resto-bar le Cercle pour fédérer tout ce beau monde. Son responsable des communications, Jean-François Jasmin, constate à titre personnel que les deux univers commencent à se mêler et estime qu’il y a beaucoup de potentiel dans le quartier. Comme d’autres, il met la main à la pâte à travers l’événement d’inspiration japonaise Pecha Kucha, qui réunit chaque année des créateurs des disciplines les plus variées.
Selon lui, le moment est particulièrement bien choisi pour rapprocher les deux mondes. «Le jeu est rendu à une époque de maturité où l’expérience de jeu va sortir de l’aspect simple du divertissement» pour entrer dans une zone plus «sérieuse» (comme la réalité augmentée par exemple) où la proposition artistique va devenir une «voie intéressante».
Philippe-Antoine Lehoux, pour sa part, ne sait pas encore exactement quelle place occuperont les arts dans la prochaine mouture du Bivouac urbain. Il aimerait bien se doter d’un commissaire familier avec les deux mondes pour l’assister. En attendant, il se demande s’il n’est pas plus facile de rapprocher un programmeur de jeux vidéo d’ici à un créateur étranger qu’à son équivalent local. «À l’échelle mondiale, il y a des projets super intéressants qui se font. Sur le Net, il y a des mélanges entre des créateurs de jeux vidéo et des artistes d’un peu partout qui ont des atomes crochus, mais dans une ville grosse comme Québec, je ne sais pas si ça peut se faire de façon naturelle.»



15 septembre 2011 à 13 h 18
lorsqu’on lit l’article, je trouve qu’il y a beaucoup de positif… Plus que de négatif… Le changement de culture semble s’opérer. Il faut être patient pour que les mentalités évoluent. C’est un peu le reproche me faisait une connaissance parti travailler dans l’informatique dans la Silicon Valley il y a quelques années ; à Québec, il y a des grands créateurs, arts visuels, jeux vidéo, etc., mais il y a un problème de mariage entre eux.
par exemple, lorsqu’on crée un jeu vidéo, ça prend d’excellents programmeurs, mais un peintre, par exemple, peut certainement apporter son expertise et sa touche visuels.
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15 septembre 2011 à 15 h 27
Bien dit. Je suis designer d’intérieur qui s’adonne à aimer les jeux vidée (tout ce qui est multimédia, en gros) et j’ai toujours souhaité travailler dans ce domaine (je prends le domaine des jeux car dans St-Roch… c’est pas mal ça qui a la cote) Mais avec mon bagage de designer. Je ne souhaites pas nécessairement retourner aux études pour devenir programmeur, (de toute façon, je connais mon lot de logiciels informatique… j’ai mon tas!) mais je me demande s’il y aurait place à ce que des domaines connexes puisses se greffer à cette industrie. Les artistes en tout genre pourraient TELLEMENT ajouter aux industries multimédia!
Mais bon, je ne connais « à-rien » dans ce domaine, probablement qu’ils ont déjà leur artistes et consultant etc… enfin, je vais me contenter de rester un gros bébé de 28 ans et jouer à mes jeux!
… J’aime mon métier quand même, ne vous en faites pas pour moi!!! :P
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15 septembre 2011 à 15 h 51
C’est une question de culture et de formation… On tente de rapprocher deux univers séparés dès les débuts de leur apprentissage. Rares sont les établissements qui valorisent aux étudiants en sciences et technologies de s’intéresser aux arts et vice-versa. Alors, il ne faut pas s’étonner leur éloignement futur. Les seuls étudiants à mon avis qui possèdent ce genre de vision sont les « designers industriels ». Mais c’est une profession peu valorisée dans l’industrie. On la voit souvent comme une dépense.
Par ma profession et par intérêt personnel, je suis souvent appelé à travailler dans les 2 univers et je m’y sens très à l’aise. Je constate à chaque fois qu’il y a un gouffre entre les deux. Ils comportent chacun leur langage et leur mode de pensée. Sur la plupart des projets auxquels j’ai participé, malheureusement le volet artistique a souvent été écarté parce que non rentable et/ou par dépassement de coût.
L’intégration d’éléments artistiques à un projet ne doit pas être vu comme un rajout au projet, mais comme faisant partie intégrante du projet. L’artiste devrait être à la base du projet et les technos devrait être là pour la réalisation.
Pour l’instant, on se contente, par une loi dans les projets publics, de réserver une infime partie du budget à « l’ajout » d’éléments artistiques. Ce qui entretient dans la pensée collective que l’art est un superflu obligé au lieu d’être un élément faisant partie intégrante du projet. Si on caricature un peu, les ingénieurs bâtissent des structures sans âme et on y ajoute une sculpture pour faire beau. Ça manque de cohésion.
Certe, avec des Robert Lepage, le Cirque du Soleil, des Olivier Dufour, le Bivouac Urbain, etc… la population de la ville de Québec apprivoise ce genre de rapprochements. La ville a aussi favorisé la tenue pendant 5 ans de spectacles « technoculturels », un investissement à long terme qui valorisera l’importance du volet culturel à la qualité de la vie urbaine. On verra dans quelques années si ces investissements auront fait changer les mentalités et auront favorisé le développement de nouveaux « technocréateurs ».
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15 septembre 2011 à 16 h 29
J’aimerais que l’on m’explique ce que le maire actuel fait dans tout ça? À l’exception d’avoir prolongé la vie du moulin à images et des chemins invisible, qu’est-ce qu’il a fait concrètement ? Il me semble que tous les acteurs majeurs étaient déjà là avant. Mon opinion à moi, c’est qu’il est important de rendre à César ce qui est à César.
Remarquez que le lien http://www.saint-rochtechnoculture.com/ ne fonctionne plus.
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15 septembre 2011 à 17 h 09
Effectivement….J’aimerais bien que l’on m’explique en quoi notre présent maire peut recevoir le mérite de la relance de ce secteur de la ville.
Autre question: l’auteur de cet article parle du succès de la revitalisation de St Roch…..Quand je regarde le nombre de locaux à louer et le nombre élevé de boutiques/restos qui ont fermés leurs portes je m’interroge…
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15 septembre 2011 à 17 h 41
Comme tout bon politicien de vieille génération, il ne fait que
surfer sur la vision des autres.
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17 septembre 2011 à 11 h 03
Comme tous les politiciens dignes de ce nom, ce qui est important c’est de laisser une trace pour la postérité, qu’on se rappelle d’eux. Hamel et Lamontagne nous ont laissé des Km³ de béton et d’asphalte, Peletier une biographie et du vide, Boucher un Taj Mahal et Labaume probablement un nouvel aréna. St-Roch doit déjà être loin dans sa tête. En fait St-Roch c’est avant tout Lallier, Labaume a tout simplement continué d’alimenter le mouvement déjà en route.
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15 septembre 2011 à 19 h 48
Si on veut une relance à plus long terme de St-Roch il faut aussi augmenter le nombre de gens qui y habitent.
La pointe-aux-lièvres est un beau projet même si je pense que le coût sera peut-être trop élevé (en regardant la cité verte). Il y a des bâtisses, comme le magasin ASSH qui pourrait être converti en condos avec commece au rez-de-chaussée et stationnement au sous-sol. Il n’y a pas énormément de terrain libre dans St-Roch, mais on peut sans doute faire mieux avec ce qu’on a.
Aussi si la compagnie de cigarettes fermait, on aurait un très beau terrain à développer.
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15 septembre 2011 à 20 h 51
Au sujet des maillages arts – entreprises techno, il y a dans l’îlot des tanneurs le centre d’artistes Vidéo Femmes qui dévoilera dans le cadre des Journées de la culture un projet en partenariat avec Aptgeek Technologies. Incidemment, La Chambre Blanche mentionnée dans l’article ci-haut agira comme consultant dans ce projet. L’aboutissement prendra la forme d’oeuvres interactives (avec application webmobile) qui seront présentées à la fin du printemps 2012 dans un lieu de passage piétonnier de l’îlot des tanneurs… Le projet fera aussi appel à une participation active des citoyens, sur place lors de la diffusion, mais aussi pendant son développement, que tous pourront suivre sur le web et alimenter.
Un 4 à 7 aura lieu le 30 septembre au 291, Saint-Vallier Est, pour donner le coup d’envoi au projet, dévoiler son blogue et permettre à tout un chacun d’échanger avec les créatrices et créateurs impliquées. Une belle occasion pour ceux que le sujet intéresse de poursuivre la discussion sur les maillages technoculture, voire d’en faire naître!
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15 septembre 2011 à 21 h 48
À la lecture de tout ça, je me pose encore une question, qui me semble si primordiale que je me demande pourquoi on ne l’aborde pas dans l’article:
À quoi est-ce qu’on s’attendait et qu’on n’a pas obtenu? Concrètement, c’est bien beau décider d’un mariage et avoir plein de bonnes intentions pour favoriser la cohabitation des deux parties dans le même secteur. Mais quel était le résultat escompté? Pensait-on que par magie allait naître de cette cohabitation (plutôt qu’une réelle union) quelque chose de totalement nouveau?
Avant de dire qu’on n’est pas rendu là où on voulait se rendre, pourrait-on rappeler quelle était la destination?
Je suis très conscient des projets concrets alliant arts et technos, je travaille d’ailleurs pour une entreprise qui a 300 employés à Québec (et tout plein ailleurs) dont une partie oeuvre justement dans les « communications interactives » (sites web, publicités, etc.) Ce n’est peut-être pas de l’art au sens traditionnel du terme, mais c’est une forme contemporaine, connexe aux formes traditionnelles. Certains projets demandent d’ailleurs la fusion de deux équipes dans l’entreprise: une en communications, l’autre en technologies de l’information. Voilà, il y a des mariages dans les cas concrets.
Mais ça demeure du cas par cas, et l’art et la techno ne s’entremêlent que lorsque lorsqu’un projet nécessite les deux. Laurent Capéraà avait d’ailleurs un bon point là-dessus dans un commentaire précédent.
Il y aussi bien des cas où c’est principalement un ou l’autre. Pour l’artiste, la techno devient un médium, une manière de concrétiser sa création. Pour la personne en techno, l’art représente la façade de son travail. On a beau multiplier les occasions de rencontre entre les gens de ces deux milieux, le mieux qu’on puisse faire, à part combler les besoins en technos ou en art pour « compléter » la réalisation d’un projet, c’est d’élargir l’horizon des possibilités de ces personnes. Autrement dit, sachant un peu plsu ce qui existe dans l’autre domaine, on peut imaginer plus en amont (au mieux, au début d’un projet) la place qu’occupera l’autre domaine.
Donc, encore là, toujours des cas de projets concrets. C’est très bien, mais les projets n’existent généralement que s’ils répondent à un besoin (lequel peut parfois être créé a posteriori, comme dans le cas d’une oeuvre que les gens découvrent et qu’ils veulent voir, entendre, etc.). Alors déjà là, le fruit de l’union ne pousse pas tout seul comme par magie.
De plus, ce dont on semble parler dans l’article m’apparaît plutôt comme un vague concept de fusion. Comme si « en général », on pouvait marier les deux. Comme je disais, si on expliquait un peu plus où on voulait en arriver…
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16 septembre 2011 à 00 h 01
Je ne dois pas bien comprendre l’article parce que je trouve ça futile comme sujet. Les solitudes des Arts et de la Technologie dans St-Roch. Ça serait vraiment dommage que ce mélange ne se fasse pas! Que deviendrait notre monde?…not
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16 septembre 2011 à 08 h 18
effectivement… Je crois que tu n’as pas trop bien compris… Car ça aussi, c’est de l’urbanisme. La dynamique urbaine.
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17 septembre 2011 à 16 h 13
Je trouvais justement pertinent et intéressant cet article. On ne fait pas tous une même lecture d’un texte.
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