Dans notre formidable société, où le consensus se fait aussi rare que le Canadien à la télé, tout le monde s’entend ce matin sur au moins une chose : on en a jusque-là de l’hiver. Pas jusqu’ici, ni jusque-là, regardez bien ma main, jusque-là, vous comprenez ?
Alors, en ce lendemain de poudrerie haute et de sacrage intempestif contre la charrue, je le proclame haut et fort : vivement le retour des beaux jours, des effluves de lilas, des petites robes fleuries, des pieds tout nus dans les sandales, du bruit de la balle de tennis renvoyée avec dextérité en plein sur la ligne – tiens mon maudit – et du verre de rosé sur la terrasse, en fin d’après-midi, avec les lunettes de soleil sur le bout du nez, à se dire que la vie vaut quand même la peine d’être vécue, han mon Roger, on va-tu jouer au golf demain ?
S’il est un autre plaisir de la belle saison, méconnu celui-là, c’est s’étendre dans l’herbe ou sur une chaise longue afin de contempler le ciel. Si mes gélules d’oméga-3 font leur travail et que ma mémoire est bonne, Roch Carrier posait d’ailleurs cette question pataphysique dans La Céleste bicyclette : quand avez-vous regardé le ciel pour la dernière fois ? Regarder le ciel pour vrai, bande de nonos, pas d’un air inquiet, par la fenêtre, le matin, en faisant son noeud de cravate et en se demandant il est où mon parapluie. Regarder le ciel de cette façon, ça ne compte pas, vaut mieux alors regarder la fille de la météo.
Approchez, je vais vous faire une confidence. Moi, je fixe le ciel chaque fois que j’aperçois la traînée blanche d’un gros avion. Chaque fois, je me demande d’où il vient, où il s’en va, si les passagers ont aimé le film et s’ils ont la chance d’avoir dans le cockpit un pilote aussi bon que Robert Piché, au cas où un morceau de la carlingue se détacherait. Je ne veux pas vous faire peur, mais ça arrive, je l’ai lu dans le journal et Yvan Miville-Deschênes l’a expliqué l’autre soir à la télé.
De quoi parlait-on encore ? Ah oui, le ciel. Toujours est-il que le ciel, je le regarde longuement lorsqu’un avion passe, mais on est encore loin du plaisir de l’observer pendant une nuit sans lune, lorsqu’il y a plein d’étoiles et qu’on se demande s’il y a une forme quelconque d’intelligence là-haut et si oui, ressemble-t-elle à Anne-Marie Losique.
Rien ne peut rivaliser avec ce petit plaisir de la belle saison, pas même le miniputt extrême et le sarclage de radis. Or, en pleine ville, ce privilège est de plus en plus rare, sinon inexistant, avec cette manie qu’on a de tout illuminer, de tout éclairer, comme si la noirceur était devenue une ennemie et tous les édifices de Québec, des belles de nuit.
* * * * *
La mise en lumière, c’est le nouveau dada de la Commission de la capitale nationale. Il y a trois semaines, l’organisme a fait savoir qu’elle avait dans ses cartons un plan pour éclairer pas moins de 70 endroits, sur les deux rives du fleuve, au cours du prochain quart de siècle. Pas 10, ni 40, 70 ! Courez chez Réno-Dépot pendant qu’il est encore temps, les amis, car bientôt les ampoules et les gros spots de jardin vont se vendre sur le marché noir à des prix de fou. On va passer rapidement sur l’éclairage du pont de Québec. On a encore frais à la mémoire la chicane avec ce spécialiste français qui avait mis au point un système de lumières qui devaient changer de couleur au gré des marées. En bout de ligne, le projet s’est morpionné et Québec s’est retrouvé avec un pont à moitié éclairé, une bénédiction du ciel, finalement, lorsqu’on lui regarde l’allure. Au cours des dernières années, la Commission a illuminé plein de trucs à Québec. Dans le lot, il faut le reconnaître, il y en a qui ont de la gueule. Le Musée national des beaux-arts, par exemple. C’est pas mêlant, ça donne presque le goût d’y aller. Lorsque vous marchez sur les Plaines, le coup d’oeil est renversant, surtout si vous êtes couché sur le dos, à essayer de voir les étoiles et que vous ne pouvez pas, cibole, parce qu’il fait trop clair.
Il y a aussi les falaises du cap Diamant, la porte Saint-Jean et la porte Saint-Louis. C’est vrai, je dois l’avouer, c’est beau. Avec une belle petite neige qui tombe – pas une belle petite neige de mars, bien entendu, vous aurez compris… – il n’y a rien de mieux pour faire craquer les touristes en voyage de noces et faire vendre des cartes postales.
Dans sa volonté de transformer Québec en une Ville lumière, la Commission a l’intention d’éclairer des édifices et des endroits qui mériteraient de rester dans l’obscurité. A quoi bon dépenser quelques milliers de dollars pour voir la nuit le PEPS et les tours jumelles, sur le campus de l’Université Laval ? A-t-on vraiment envie de les voir, sérieux ? Est-il vraiment nécessaire d’illuminer l’affreux bunker, sur Grande Allée, ou le pont de l’île d’Orléans ? Vu de la Rive-Sud, le Vieux-Québec ressemblera-t-il bientôt à la raffinerie Ultramar ?
Trop c’est comme pas assez. On éclaire ceci, on éclaire cela, on éclaire à hue et à dia, et on se retrouve avec une ville où tout le monde sera bientôt forcé de porter des lunettes noires la nuit, tellement tout sera illuminé, tout donnera dans l’éblouissement rococo. Que la lumière soit, tel pourrait être la devise de la nouvelle grande ville de Québec.
En plus, s’il faut faire des kilomètres et des kilomètres pour fuir toute cette lumière urbaine et pouvoir observer tranquille les étoiles, je ne marche pas.
Rendons le ciel de la nuit aux gens de Québec, vive l’illumination pondérée, vive la noirceur stratégique, vive les étoiles visibles au coeur de la ville.
Mais avant tout, vive le printemps avec du gros soleil…

Normand Provencher, 10 mars 2005. Reproduit avec autorisation



10 mars 2005 à 18 h 59
Pas dutout d’accord!!!!
J’ADORE L’HIVER!
VIVEMENT LE SNOWBOARD ET LA RAQUETTE’ LES FIN DE SEMAINES ENTRE AMIS AU CHALET EN BOIS ROND…
LE printemps s’en vient de toute façon. Faut pas s’en faire!
Chaque saison surpasse la précédente…L’anticipation c’est important.
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10 mars 2005 à 21 h 42
Encore une fois très bien parlé M. Provencher!! La vérité absolue s’écoule de votre plume!
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10 mars 2005 à 21 h 43
Mouahaha! La devise de la nouvelle ville pourrait aussi être « Clic! il fait clair, vive la lumière!! »
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11 mars 2005 à 06 h 15
Ca fait deux éditoriaux en deux semaines (Julie Lemieux en a fait un la semaine passée), qui dénonce la nature exagérée du plan lumière. J’espère que la CCNQ va finir par comprendre qu’ils sont dans le champ.
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11 mars 2005 à 07 h 47
Merci et félicitations M. Provencher pour votre article. Malheureusement trop peu de gens réalisent ce que nous faisons à la beauté du ciel étoilé en éclairant sans raison. En plus que dire du gaspillage d’énergie. Plusieurs millions s’envolent en éclairage inutile, mal dirigé ou mal conçu. Où trouvons nous tant d’argent pour éteindre les étoiles au Québec?
Rémi Lacasse,
Président de la Fédération des Astronomes Amateurs du Québec
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11 mars 2005 à 10 h 34
Félicitation M. Provencher. Notre parc de barrages hydroélectrique ne doit pas être aussi déficitaire que le prétendent notre gouvernement et Hydro Québec puisque nous pouvons gaspiller des milliers de kWh à grand coup de fonds public afin d’illuminer des monuments, ou prétendu monument, à l’heure où la très grande majorité des citoyens s’endorment en rêvant au ciel étoilé parce c’est tout ce qui leur reste.
Sommes nous en droit de nous questionner sur le sérieux de ceux qui permettent que la CCN gaspille ainsi autant d’énergie inutilement lorsqu’on demande aux citoyens de faire le maximum pour l’économiser?
Jacques Croteau
Président de la Corporation d’Astronomie de Val-Bélair
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11 mars 2005 à 11 h 56
L’idée de départ du plan lumière était merveilleuse. Maintenant, la CCNQ ne devrait pas tomber dans l’abus, en effet. L’éclairage de n’importe quel édifice commence toutefois à devenir n’importe quoi.
Cependant, à propos de la neige, je partage l’opinion de M. Provencher. Est-ce que Québec est effectivement obligée d’avoir de la neige au sol jusqu’en mai bordel!???
C’est maintenant que je commence vraiment à apprécier le climat de Montréal. Il n’y est pas tombé un seul centimètre des 40 que Québec s’est tapée cette semaine. Mes pauvres parents… :-/
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11 mars 2005 à 21 h 56
Que les astronomes, amateurs et professionnels, se plaignent de la ‘pollution lumineuse’ qui aveugle leurs télescopes, on comprend facilement. Mais les contribuables qui en payent la facture et tous ceux privés de nuits étoilées en souffrent bien plus encore. (Re)lisez les passages de Terre des Hommes ou des Frères Karamazov (Dostoïevski) où Saint-Exupéry et Aliocha prennent conscience du sens de l’humanité « sous cette pluie d’étoiles ».
René Racine
astronome
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