Québec Urbain

L’Urbanisme de la ville de Québec en version carnet…


Voici les perdants du tramway de Québec

Par Envoyer un courriel à l’auteur le 9 mars 2020 Commentaires fermés sur Voici les perdants du tramway de Québec

Stéphanie Martin
Taïeb Moalla
Jean-Luc Lavallée
Journal de Québec

Qui seront les gagnants et les perdants, en 2026, quand le tramway et le trambus circuleront en ville? Pour le savoir, Le Journal a mené de nombreuses entrevues avec des experts et des représentants de plusieurs domaines : économie, urbanisme, santé, tourisme, immobilier. Ils ont identifié ceux qui bénéficieront de l’infrastructure et ceux qui subiront les contrecoups.

Des pertes pour les automobilistes

Après des décennies où la ville de Québec s’est fait bâtir autour de la voiture, les automobilistes vont pour la première fois subir une perte avec le retrait de voies et d’espaces de stationnement. C’est l’opinion du professeur Jean Dubé, économiste et professeur agrégé à l’École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional de l’Université Laval. «Les automobilistes sont un peu perdants, dit-il. Mais ça fait des années que les politiques de transport ne sont faites que pour eux. S’ils sont perdants un peu, ça sera un juste retour du balancier. Il y a plus de gagnants que de perdants.»

Avec l’arrivée du réseau de transport structurant, les automobilistes devront revoir leurs déplacements, particulièrement le long du tracé du tramway et du trambus. En effet, avec la plateforme qui sera aménagée sur des axes majeurs comme René-Lévesque et Laurier, plusieurs intersections seront reconfigurées.

Virage à gauche

En tout, 148 carrefours deviendront infranchissables pour les voitures. De plus, à 86 intersections, les conducteurs se verront imposer des limitations sur le virage à gauche qui sera soit interdit (58) soit limité à une direction (28). La Ville calcule que 1,7 km de voies de circulations sera retiré.
Au total, 1241 places de stationnement disparaîtront sur les axes du tramway et du trambus, et dans les secteurs adjacents. Le tiers sera retiré sur René-Lévesque, et 20 %, sur la 1re Avenue. On va cependant en relocaliser 711 ailleurs. La perte nette est donc de 530 espaces. Pour en arriver à ce calcul, la Ville a considéré le taux moyen d’occupation actuel des espaces, qui est de 57 %. «Beaucoup de places ne sont pas utilisées dans les rues périphériques», a mentionné Marc Des Rivières, directeur du Service du transport de la Ville, lors d’un comité plénier en décembre.

Des habitudes à changer

Au CAA-Québec, on nuance les inconvénients imposés aux automobilistes. L’organisation est généralement en faveur du projet, s’appuyant sur l’approbation du principe du réseau structurant par ses membres lors d’un sondage réalisé en 2017. On reconnaît cependant que des automobilistes – pas tous – vont y perdre au change. «On ne peut pas nier qu’il y a certains automobilistes, selon le trajet qu’ils font actuellement, qui vont être perdants et qui devront changer leurs habitudes», a commenté le porte-parole, Pierre-Olivier Fortin.

D’autre part, la Ville précise que les automobilistes bénéficieront de l’apport du réseau. Sans son implantation, la circulation allait devenir complètement invivable, a plaidé le maire Régis Labeaume au cours des dernières semaines. Le réseau permettrait de capter la moitié des déplacements en auto supplémentaires sur un horizon de 15 ans après son implantation.

Plusieurs quartiers paisibles vont se métamorphoser avec l’augmentation prévue de la circulation de transit dès 2026, année de la mise en service du réseau structurant. Dans l’Étude d’impact sur les déplacements produite par la Ville de Québec, on prévoit «qu’une concentration de la circulation sera observée sur l’ensemble des [rues] collectrices qui traverseront les plateformes du tramway et du trambus». On identifie 16 rues, situées tout au long du parcours, qui recevront 2000 à 7000 véhicules supplémentaires par jour.

C’est notamment le cas de la rue des Chênes, dans Lairet. «On a choisi ce quartier-là pour la proximité du transport collectif. On est super content que ça passe à côté de chez nous, sur la 1re Avenue. Mais en même temps, on veut que nos rues résidentielles soient conviviales. Je ne veux pas me retrouver dans un quartier où on est submergés d’automobiles», a indiqué Julie Poisson, administratrice au conseil de quartier.

D’autres dirigeants de conseils de quartier ont estimé que l’enjeu de la circulation de transit se pose déjà dans leurs secteurs respectifs depuis plusieurs années. Tous insistent néanmoins pour dire que l’échéance de 2026 est encore éloignée et qu’il faudra travailler de concert avec l’administration municipale pour minimiser les impacts sur les résidents de ces rues «collectrices».

La même Étude d’impact calcule que les volumes véhiculaires quotidiens augmenteront d’environ 6 % à la suite de l’implantation du tramway et du trambus à l’horizon de 2026. Cela dit, «cette augmentation sera de l’ordre de 10 % si le projet ne se réalise pas», nuance-t-on.

Même la Ville de Québec ne s’en cache pas : les cinq années de travaux pour le réseau structurant causeront des maux de tête à bien des gens. «Ce sera problématique pour les riverains pendant la construction», anticipe Jean Mercier, professeur à l’Université Laval. De l’aveu même de la Ville et du bureau de projet du réseau structurant, les cinq ans de construction de l’infrastructure seront difficiles. Entre 2022 et 2026, on «ouvrira» les rues sur les 23 km du tracé du tramway et sur les 15 km de tracé du trambus afin d’aménager les infrastructures nécessaires pour ces modes de transport qui circuleront sur une plateforme réservée. On prévoit aussi l’ajout de 16 km de voies dédiées aux autobus.

Les commerçants risquent d’en arracher quand le chantier sera situé devant chez eux. Ce fut le cas notamment, à l’été 2019, alors que des travaux semblables ont eu lieu sur la route de l’Église, à Sainte-Foy. Les commerçants avaient vécu des mois pénibles et avaient déploré une baisse notable de l’achalandage. S’était ensuivi un bras de fer avec l’administration Labeaume, qui avait fini par mettre sur pied un programme de compensation pour les pertes subies. Ce même programme s’appliquera pendant le chantier du réseau.

Pendant les travaux du tramway, les automobilistes feront face à de nombreux détours. Entre autres, dans le secteur du boulevard Laurier, la Ville prévoit déjà que le boulevard Hochelaga pourra servir de voie de contournement.

Les piétons pourraient également voir leurs habitudes modifiées. Même le transport collectif sera perturbé, surtout sur les parcours 800 et 801, qui suivent le tracé du tramway.

Les effets collatéraux pourraient se faire sentir jusqu’en périphérie. Par exemple, les résidents de Beauport, près de l’ancienne carrière de Ciment Saint-Laurent, craignent le bruit provoqué par les 40 000 voyages de roc excavé pour creuser le tunnel du tramway en haute ville.

Les commerçants doivent s’attendre à une baisse d’achalandage à court terme, avise l’économiste et professeur à l’Université Laval Jean Dubé. Mais il note que c’est un désagrément temporaire.

Au sujet du programme de compensation, il faudrait, selon Jean Dubé, se questionner dès maintenant sur la façon dont on va procéder. Si on les dédommage pendant les travaux, doit-on les taxer ensuite sur la plus-value qu’ils gagneront avec la présence du tramway à proximité?

«C’est donnant-donnant. Ce n’est pas juste à la communauté de Québec de payer [pour compenser les pertes des commerçants]. Il faut un retour. Est-ce qu’on taxe sur la plus-value ? Ou on redonne à la clientèle dans une cagnotte qui sera prise en charge par le milieu? Il faut que ça se réfléchisse maintenant», estime-t-il. Le retour aux citoyens pourrait par exemple se faire par l’amélioration des artères commerciales, propose-t-il.

358 acquisitions le long du tracé

La Ville de Québec estime qu’elle devra faire 358 acquisitions de terrains le long du tracé du tramway. De ce nombre, on compte 19 propriétés qui devront être entièrement expropriées, soit 14 terrains construits et 5 terrains vacants. La Ville privilégie les ententes de gré à gré pour l’obtention de ces lots, mais peut, si elle le souhaite, procéder par expropriation en vertu des pouvoirs que lui confère la loi.

Les propriétés touchées ne sont pas encore connues. Plusieurs notent que les propriétaires visés pourraient bien trouver leur compte dans le processus, s’ils obtiennent une somme qui leur convient dans le cadre d’une entente de gré à gré. Sylvain Gilbert, propriétaire de la Pyramide qui pourrait se voir exproprier une bande de terrain, entrevoit des inconvénients pendant les travaux et déplore l’incertitude, à ce moment-ci, concernant les montants qui seront offerts. Mais selon lui, à long terme, ceux qui perdront un bout de terrain seront gagnants si plus d’usagers du transport en commun ont accès à leur commerce.

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Voir aussi : Projet - Tramway.

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