Québec Urbain

L’Urbanisme de la ville de Québec en version carnet…


A la découverte des ruelles de Limoilou

Par Envoyer un courriel à l’auteur le 18 mai 2004 Commentaires fermés sur A la découverte des ruelles de Limoilou

Elles n’ont pas de nom. Mais elle ont une gueule terrible. Tiens, par exemple, celle où une copie enroulée du SOLEIL pend au bout d’une ficelle, devant une fenêtre de rez-de-chaussée. La madame d’en haut échange le journal tous les jours avec la madame d’en bas. Il y a tellement de ruelles dans le quartier Limoilou, à Québec – 70 exactement – , que Charles Adrien, concierge de métier, habite à l’intersection d’une ruelle… et d’une ruelle !  » Quand je commande quelque chose, raconte-t-il, je dis au livreur coin 4e Avenue-29e Rue, dans la ruelle . Il sait ce que ça veut dire. Tous les livreurs connaissent les ruelles par coeur. Pas besoin de nom… « 

N’empêche, réfléchit tout haut Michel Filteau, membre du conseil de quartier de Limoilou,  » ce serait peut-être une saprée bonne idée de baptiser nos ruelles. Sûrement un sujet à discuter « . D’autant plus que Limoilou est quadrillée de rues et d’avenues à numéro, ce qui est parfait pour orienter les passants, mais ce qui ne donne pas lieu à de la très grande poésie urbaine.

En attendant, les résidants prennent leurs ruelles en mains. Ils les réparent, les nettoient, les embellissent, les protègent même jalousement contre les derniers délinquants qui ont encore tendance à les polluer, sous prétexte que rien ne se voit de la rue. Un exemple typique : ce garage dont l’intérieur a passé au feu deux fois et qui est souillé de toutes sortes d’ordures et de résidus dégoûtants. Une voisine a initié une pétition. Le combat a rallié tout le monde. A bas  » le cancer de la ruelle !  » lance Simon Légaré, qui a acheté une maison dans le coin il y a deux ans.

Tout le monde embellit

 » Il y a encore de ces exceptions très déplaisantes, plaide Michel Filteau. Mais dans l’ensemble, les ruelles sont propres et bien entretenues. Les gens en sont fiers et ça paraît.  » Ce petit commerçant de la 2e Rue vient de participer à la réalisation d’un guide de procédures pour bâtir des projets admissibles à un plan d’embellissement auquel la Ville de Québec consacre 75 000 $ par année. Le montant semble peu pour certains. Mais les plus dégourdis sautent sur l’occasion et comblent à même leur poche la partie de leur projet qui dépasse les quotas municipaux.

 » Tout le monde embellit à qui mieux mieux « , se réjouit Geneviève Guay, une jeune mère occupée ce jour-là à construire une terrasse de grosses roches des champs avec son conjoint. Le pick-up dans lequel les cailloux étaient transportés avait pratiquement le derrière à terre.

Les arrière-cours de Limoilou sont fabuleuses d’espace et de pittoresque, dans un quartier pourtant très urbain qui annonce plutôt une forte promiscuité, vu de la rue. Les 70 ruelles de Limoilou font 12 kilomètres de I, de T, de H, de L, voire de Y. Souvent, les ruelles sont toutes attachées les unes aux autres, comme de la saucisse. Une première conduit à une seconde plus grande, qui se jette dans une autre enfouie sous les arbres, qui mène elle-même à un véritable parc d’amusement aménagé au centre d’un triangle… de ruelles.

Les patios rivalisent de coquetterie et d’ingéniosité. Il s’y trouve notamment des jardins d’eau parfois étonnants… pas très loin de piscines hors terre qui s’y font de plus en plus nombreuses. Eh oui ! En pleine ville !

Les fleurs de Jeanine

Mais le véritable fureteur va surtout trouver dans chaque ruelle ce petit quelque chose qui l’étiquette, ce petit jupon qui dépasse, cette petite extravagance dont le kitsch a l’heur de la rendre sympathique, ce personnage un peu mystérieux sans lequel rien ne serait plus jamais pareil. Jeanine Lethieq-Desrochers et ses fleurs de plastique, par exemple.

 » Tout le monde a depuis longtemps remarqué ses balcons du premier étage fortement décorés, dit Michel Filteau. Sa maison est devenue une sujet de conversation dans le quartier, en même temps qu’une attraction incontournable. Mais tout le monde se demande qui est la dame derrière tout ça.  » LE SOLEIL a l’honneur de vous la présenter, avec sa bonhomie et son grand sourire passe-partout. Jeanine Lethiecq-Desrochers habite ce logement depuis 1986, et elle le décore ainsi depuis aussi longtemps.

 » J’habitais autrefois de l’autre côté de la rue. Le propriétaire m’a envoyée pour faire place à son garçon. Je suis déménagée en face, voilà tout « , raconte cette mère de six enfants et grand-mère de 10 petits-enfants qui se trouve bien vilaine en photo. Trouvez-vous ?

Les ruelles de Limoilou ne sont pas un accident de la nature, ô que non. Elles sont même le résultat d’une extrême planification. Le grand promoteur immobilier du début XXe siècle, Quebec Land, les a minutieusement aménagées derrière les grandes maisons en rangée qu’il a alors construites dans Limoilou. La stratégie, encore aussi payante aujourd’hui, consistait à permettre une vie de quartier protégée du vent et du va-et-vient de la rue. Dans certains cas, elle a même donné naissance à une sorte de serres chaudes qui allonge l’été de beaucoup.

Les ruelles orphelines

La disparition de Quebec Land a eu cet effet pour le moins bizarre, voire farfelu : 50 des 70 ruelles orphelines de Limoilou sont tombées entre les mains du Curateur public du Québec, faute de propriétaires ou de mandataires.  » Ce qui ne correspond pas vraiment à notre mandat, celui de nous occuper de personnes, dit son porte-parole Pierre Verge. Le Curateur n’est quand même pas pour se mettre à faire de la voirie !  »

La Ville de Québec serait prête à les annexer… moyennant une dot gouvernementale. Elle ne veut pas payer seule les 3 millions $ de travaux de réfection qu’elle estime nécessaires tout de suite. Michel Filteau, comme bien d’autres, a une façon toute limoilienne de voir les choses.  » Les ruelles, lance-t-il, sont le paradis sur terre, les milliards de dollars en moins !  »

Mais ce qui a le plus changé dans les ruelles de Limoilou, ce n’est pas surtout l’esprit coopératif, la démolition des vieux hangars, l’arrivée de piscines, etc. Devinez ? Ce qui a le plus changé, c’est la forte diminution des enfants. Michel Filteau incarne parfaitement cette décroissance. Il fut élevé dans les ruelles aux côtés de cinq frères et soeurs. Et lui-même n’a eu que deux enfants.

L’enfant de la balle disparaît tranquillement, en même temps que l’enfant tout court. Peut-être qu’un jour, les ruelles de Limoilou ne deviendront plus qu’un circuit touristique alternatif pour banlieusards branchés ?


Alain Bouchard, 16 mai 2004. Reproduit avec autorisation

Voir aussi : Arrondissement Limoilou.

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