Québec Urbain

L’Urbanisme de la ville de Québec en version carnet…


Derrière les villes, il y a aussi (et surtout) des humains

Par Envoyer un courriel à l’auteur le 25 août 2005 16 commentaires

Québec urbain m’a apporté beaucoup, et à plusieurs niveau. Par exemple, c’est à cause de ce site si je m’apprête à quitter ma ville pour aller étudier en photojournalisme.

Il m’a aussi permis de connaître certaines personnes, de nouer certaines amitiés.

En mai 2004, je rencontrais un certains nombres d’entre-vous lors d’une petite soirée. Et là il y avait André Voyer. Depuis, on s’échange parfois des courriels, et il me « fournis » quelque fois en photo et en infos diverses. Grâce à lui, Québec urbain à été plus intéressant.

Quelque part au printemps passé, il m’avait envoyé un courriel, « s’excusant » d’être moins présent sur Québec urbain. Il me disait que son amoureuse était très malade et qu’il y mettait tout son temps et touts ses efforts.

Je lui ai demandé de me tenir au courant.

J’ai plus tard reçu un autre courriel, me disant que sa Carole était morte, il y avait un jour ou deux. Le hasard à fait que je l’ai croisé dans St-Roch une semaine plus tard, alors que j’étais à la recherche de « Scène urbaine », appareil photo à la main. Nous avons discuté pendant de nombreuses minutes – c’était peut-être une heure, j’ai perdu la notion du temps. Il me disait qu’il n’avait jamais autant marché, qu’il connaissait maintenant par cour toutes les rues du coin. Parce qu’il valait mieux cela que d’endurer les murs de son chez lui qui lui rappelait trop sa Carole.

Ce matin, Normand Provencher nous parle de sa rencontre avec André.

Bonne chance vieux!


Normand Provencher, 25 août 2005. Reproduit avec autorisation

L’amour à mort

Dans son petit et coquet condo de la rue de l’Église, face au jardin Saint-Roch, André Voyer parle maintenant depuis plus de deux heures. Un air de musique classique joue en sourdine. Derrière les lunettes de ce sexagénaire à la barbe blanche bien taillée, des yeux bleus embués par le chagrin. A plusieurs reprises, c’est plus fort que lui, des sanglots viennent étrangler sa voix. De toute évidence, l’appartement n’est pas assez grand pour contenir son immense peine. Le 13 juillet, à 4h10, André a perdu Carole, celle qui partageait sa vie depuis 25 ans. Cancer des ovaires. Il se souvient avec exactitude de toutes les dates du chemin de croix. Tout s’est joué en cinq petits mois. Diagnostic le 11 février. Opération d’urgence le 4 mars, à l’Hôtel-Dieu de Québec. Admission à Michel-Sarrazin le 29 juin, la journée même de ses 53 ans. Il se souvient de son sourire au moment où elle a appris la nouvelle, l’un des plus beaux à avoir illuminé son visage depuis longtemps. Elle savait qu’elle ne serait dorénavant plus un fardeau pour son conjoint et sa famille.

Car les dernières semaines à s’occuper de Carole n’avaient pas été faciles pour André, lui qui était persuadé de partir avant elle pour l’ultime voyage. Il l’a vue souffrir, maigrir, dépérir. Chaque jour, la maladie emportait avec elle une parcelle de son image. Il est resté à ses côtés, à lui faire ses injections de morphine, quatre le matin et quatre le soir, à essayer d’atténuer son mal et ses angoisses par sa présence et ses caresses, avec la rage et l’impuissance de ne pouvoir en faire plus. « Tout ce que je pouvais faire, c’était de la prendre dans mes bras et pleurer avec elle. Par son courage, elle m’a donné une force que jamais je ne pensais avoir », raconte-t-il.

La défunte n’est plus là, mais on sent sa présence. Sur la petite table du salon, près du divan où est assis André, une photo du couple, prise chez un photographe professionnel. Impeccable, pas un poil qui retrousse. Un peu plus haut, sur le mur, un cadre avec deux photos de Carole : une en noir et blanc, alors qu’elle était plus jeune ; une autre, plus récente, alors qu’elle arbore une coupe de cheveux qui semble faire sa fierté. Son sourire est radieux. Quand le bonheur a sonné à la porte, pas de doute, cette femme est allée répondre.

Un couple d’amoureux séparé par la mort fait partie de ces histoires vieilles comme le monde. Elles sont à la fois toutes semblables et toutes différentes. Celle d’André et Carole ne fait pas exception. Pourquoi alors avoir choisi de la raconter ? Sais pas trop. Parce qu’il me l’a demandé. Parce que j’ai pensé que son témoignage pouvait faire oeuvre utile. Parce qu’il semblait tellement l’aimer, sa Carole. Et parce que dans cette putain de vie, on oublie trop souvent l’essentiel et qu’il est parfois bon de se le rappeler.

*****

L’être cher qui n’est plus là et voilà les souvenirs qui remontent. André a connu Carole Julien en 1978, alors qu’il travaillait comme chef dessinateur au service d’urbanisme de la Ville de Québec. Le destin a voulu que ce soit lui qui la reçoive en entrevue pour un poste à combler. André a alors 38 ans, il est marié et a trois enfants. Carole a 27 ans et elle est célibataire.

Au gré des dîners au bureau et des promenades en ville, Carole et André se découvrent des affinités et des intérêts communs. L’amour fait tranquillement son nid. Un beau midi, sur la promenade des Gouverneurs, « là où il y a un grand banc », André confie à Carole qu’il aimerait vivre avec elle. La réponse lui revient aussitôt, instantanée : « Moi aussi. »

Un an plus tard, le temps que André abandonne son ancienne vie, et les deux amoureux emménageaient ensemble. C’était parti pour 25 ans de grand bonheur. Il y a bien eu quelques nuages, fait remarquer André, c’est inévitable, mais jamais d’orage. « L’orage, il est arrivé le 13 juillet. (silence). Cristie que je me n’ennuie d’elle. On a été tellement, mais tellement heureux. Je l’aime et je pense que je ne pourrai jamais parler d’elle au passé.

« Je n’ai aucun regret, ou plutôt si, celui de ne pas lui avoir dit plus souvent à quel point je l’aimais. On tient trop les choses pour acquises. On se dit qu’on a bien le temps de dire ceci ou cela, de faire ceci ou cela, ce n’est pas toujours vrai. Cinq mois, cinq petits mois et c’était terminé, la femme de ma vie n’était plus là. » *****

L’histoire de Carole et André, c’est aussi celle de la vie qui continue, de la vie qui triomphe de tout, même des immenses peines qui ne tiennent plus dans un condo. La douleur est toujours là, mais André sait que le temps fera son oeuvre. Il a des projets en tête. Il s’est inscrit à deux cours, à l’Université Laval. Il s’est acheté un abonnement pour l’hommage à Mozart, avec l’Orchestre symphonique de Québec.

Mais avant toute chose, il compte s’acheter une voiture, histoire de s’évader, de voir un peu de pays. Sa première sortie, il compte la faire à Saint-Léonard de Portneuf, pour aller déposer une fleur sur la tombe de celle qu’il a tant aimée. En attendant que ses propres cendres viennent rejoindre les siennes, lorsque le « grand boss », comme il l’appelle, aura décidé que son tour est venu. C’est l’ultime promesse qu’il lui a faite avant de mourir.

Je suis sorti de l’appartement en petits morceaux, après avoir baragouiné les banalités d’usage. On dit quoi à quelqu’un qui vient de perdre la femme de sa vie ? Des banalités, voilà, qu’on essaie d’appeler des encouragements, mais qu’est-ce qu’on peut être ridicule…

Ce n’est qu’en écrivant ces lignes, hier après-midi, que j’ai trouvé ce que j’aurais dû dire à André. Le CD de Françoise Hardy, Tant de belles choses, va te l’acheter, voilà ce que j’aurais dû lui dire.

L’amour est plus fort que le chagrin / l’amour qui fait battre nos coeurs va sublimer cette douleur / transformer le plomb en or / tu as tant de belles choses à vivre encore… / tu verras au bout du tunnel se dessiner un arc-en-ciel / l’amour est plus fort que la mort.

Allez, André, bon courage…

Voir aussi : Message d'intérêt public.


16 commentaires

  1. J-P Duval

    25 août 2005 à 16 h 20

    Hmmmm voilà une histoire fort touchante…..que peut-on dire de plus si ce n’est que bon courage à M. Voyer que j’avais eu l’occasion de rencontrer également lors de cette soirée de mai 2004

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  2. Serge Alain

    25 août 2005 à 16 h 22

    Bon courage, Monsieur André.

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  3. Lisette

    25 août 2005 à 17 h 48

    Parfois la mort rapproche les vivants, nous sommes avec vous en pensées. Bon courage Monsieur André et que Dieu vous garde.

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  4. mimir

    25 août 2005 à 18 h 16

    Bon courage! C’est si difficile de perdre quelqu’un d’aussi cher! L’article est vraiment très touchant!

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  5. Paul

    25 août 2005 à 18 h 34

    Je crois que les larmes guérissent, que les souvenirs réconfortent et que l’amour est éternel.

    Mes plus sincères condoléances.

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  6. ab22

    25 août 2005 à 18 h 53

    J’avais croisé André et Carole devant le bassin Louise quelques jours avant le début du traitement. C’était une femme charmante avec un sourire radieux. Un aprés-midi de printemps. Le temps était frais et beau avec une belle lumière.

    Puis j’ai revu André seul et ce qu’il m’a annoncé m’a litteralement écrasé.

    En le quittant, je me suis dit qu’on ne devrait jamais aimer personne. Ca fait trop mal.

    Mais l’être humain est étonnant. Capable de surmonter toutes les épreuves. Et de recommencer a zéro même quand il a tout perdu.

    J’espère que nous allons revoir André de temps en temps.

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  7. claudine

    25 août 2005 à 19 h 02

    Beaucoup de courage il faut avoir! Vous êtes un modèle d’encouragement pour les jeunes qui touchent à l’amour et qui espèrent la saisir un jour. En leur nom, je vous remercie!

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  8. Jean Cazes

    25 août 2005 à 19 h 12

    Ce matin, j’ai reçu un courriel dont le but était de vérifier si effectivement, on faisait référence au même « Voyer » dans Le Soleil: je n’en avais aucune idée… à ce moment!

    Je n’ai pas eu l’honneur de connaître monsieur André, mais je demeure très touché par les derniers commentaires suivant le beau billet de Francis.

    Je reporte donc à demain mes prochains ajouts à Québec Urbain…

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  9. Serge Alain

    25 août 2005 à 20 h 44

    « Je crois que les larmes guérissent, que les souvenirs réconfortent et que l’amour est éternel. »

    C’est très beau, ce message, Paul.

    Je ne connais pas André, quoique je me rappele avoir échangé avec lui dans des commentaires ou forums, comme avec la plupart d’entre vous. Si Québec Urbain pouvait se mettre en berne pour rappeler à André que la vie est courte mais elle vaut certainement la peine d’être vécue…

    Ceci dit, je crois comprendre que Francis s’en va bientôt mais si quelqu’un pouvait organiser un quelconque 5 à 7 Québec-Urbain, j’oserais m’y présenter, question de mettre des visages humains sur les nombreux échanges qui s’y déroulent depuis le temps.

    Enfin, hier, par hasard, j’ai lu cette citation pas très drôle mais sans doute prédestinée:

    « Examiner le plan d’une grande ville, c’est examiner quelque chose qui ressemble à la coupe d’un tissu cancéreux. »

    Frank Lloyd Wright

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  10. Lisette

    25 août 2005 à 21 h 03

     » Ceci dit, je crois comprendre que Francis s’en va bientôt mais si quelqu’un pouvait organiser un quelconque 5 à 7 Québec-Urbain, j’oserais m’y présenter, question de mettre des visages humains sur les nombreux échanges qui s’y déroulent depuis le temps « .

    Il y a un petit quelque chose qui me dit que ce 5 à 7 puisse être possible !

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  11. Serge Alain

    25 août 2005 à 21 h 31

    Je ne suis vraiment pas du style « organisateur » ni leader, mais si c’était un soir de semaine, dans un pub ou café de la basse-ville, genre début septembre, je pourrais essayer de me libérer, si quelqu’un fait des réservations en bonnes et dues formes!

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  12. André Voyer

    25 août 2005 à 22 h 27

    Chères amies, chers amis,

    Pour la plupart je ne vous connais pas, malheureusement, merci de vos mots d’encouragement, c’est pour cela, entre-autre, que l’idée du 5 à 7 est bienvenue. Lorsque j’ai communiqué à Normand Provencher que j’avais peut-être une histoire d’amour pouvant l’inspirer, ce n’était pas par exibitionnisme. Je me disais que ce que les médias nous présentent, ce sont souvent des histoires d’horreur, crime conjugal, abus d’enfants à qui on vole l’innocence etc…

    Je me suis dit que de partager 25 ans de grand amour, ça changerait un peu le décors. Déjà j’ai reçu quelques témoignages de couples qui nous ont connus Carole et moi, et que la chronique de Provencher a rapprochés. Alors je me dis mission accomplie.

    Encore merci à vous tous et toutes.

    André.

    Ps. Francis, je te dis un merci bien spécial.

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  13. David Saint-Pierre

    26 août 2005 à 13 h 23

    J’avais eu la chance d’être de ce 5 à 7 de mai 2004, où j’avais d’ailleurs échangé longuement avec André d’une connaissance en commun: un oncle à moi et un.. « ami » à lui! ;-))

    Pour ma part, ce serait avec grand plaisir que je me joindrais donc à vous pour répéter l’expérience du GT!

    Et bon courage André!

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  14. Serge Alain

    28 août 2005 à 18 h 18

    Un 5 à 7 est prévu pour mercredi prochain! Allez jeter un coup d’oeil dans les forums, du côté de Jos Dion!!!

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  15. Lisette

    28 août 2005 à 19 h 21

    Good pour le 5 à 7, c’est une super bonne idée. Je suis par contre fort déçue d’une chose ; la semaine dernière, j’ai eu l’occasion de rencontrer Francis et par hasard, nous avons discuté d’une possible rencontre avant son départ. L’idée que cela puisse se faire au Subtil sur la rue du Campanile semblait lui plaire. Dommage, cela m’aurait permis d’être présente. J’aurais aimé avoir l’occasion de tous vous rencontrer. Une autre fois peut-être…

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  16. Serge Alain

    28 août 2005 à 19 h 54

    J’en suis fort désolé, Lisette.

    J’ai lancé l’idée à tout hasard dans cette page de commentaires et on l’a saisi au vol, comme ça, pour le plaisir d’organiser quelque chose à la dernière minute. Francis ne le sait que depuis ce soir! Rien n’interdit à personne d’en organiser d’autres, éventuellement, au Subtil ou ailleurs.

    Dommage… le Casey’s n’est pourtant pas si loin du Campanile. Mais je comprends à l’avance tes « empêchements ». On fait ce qu’on peut, même avec les meilleures intentions du monde.

    À bientôt, je l’espère!

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