Isabelle Porter
Le Devoir
Après sept ans de démarches, de réunions, de chicanes, d’essais et d’erreurs, un projet d’habitations communautaires pour 40 familles voit le jour à Québec(…) Après sept ans de démarches, de réunions, de chicanes, d’essais, d’erreurs et de petites victoires, le projet Cohabitat vient d’entrer dans sa phase finale. Vingt-six propriétaires (sur un total de 40) ont signé leur promesse d’achat et la construction devrait débuter en août. «Il faut de la détermination et savoir ce qu’on veut pour faire un projet comme le nôtre», résume l’initiateur du projet, Michel Desgagnés, 44 ans.
Ce dernier a visité pas moins de 66 communautés du genre dans le monde avant de voir pousser la sienne. Créée au Danemark il y a 50 ans, la formule de la cohabitation est sensiblement la même partout. Les membres du groupe acquièrent un terrain sur lequel ils font construire des résidences avec au centre, une maison commune où ils se partagent cuisine, salle à manger, chambres d’amis, buanderie, salles de jeux pour les enfants, atelier, etc.
L’objectif? Économiser de l’espace et des fonds, mais surtout partager, se voisiner, vivre en communauté. La formule n’est pas trop contraignante puisque les gens n’ont pas l’obligation d’utiliser la cuisine collective et ont chacun la leur, mais il faut participer un minimum à la vie de groupe. «Le soir, il y a des repas communautaires et c’est chacun son tour, résume Michel Desgagnés. Admettons qu’on est dans la même équipe et que c’est notre tour, on se rejoint par exemple à 15h. Moi, je suis le cuisiner en chef, j’ai préparé le menu et toi, tu m’aides à couper les légumes avec l’aide d’une troisième personne. Ça devient une sorte d’activité sociale de faire des repas. Et à 18h, les voisins qui se sont inscrits viennent manger dans la salle à manger commune.»
Le Cohabitat de Québec sera construit dans le quartier Saint-Sacrement, non loin de l’Université Laval. Le coût total du projet s’élève à 10,2 millions, dont 700 000 $ seront investis dans la maison commune, une somme équivalant à la marge de profit que se dégagerait le promoteur s’il y en avait un, résume M. Desgagnés. Le groupe de propriétaires compte des personnes seules, avec ou sans enfants, des jeunes et des retraités. Certains ont acheté de petits appartements de trois pièces à 200 000 $; d’autres, des maisons de ville à quatre chambres d’une valeur de 335 000 $. Le design de l’ensemble a été confié à un architecte réputé, Pierre Thibault, qui se dit particulièrement séduit par le volet «intergénérationnel» de la démarche et la place donnée à l’entraide.
En parlant de la maison commune, il promet que ce sera «un bâtiment très poussé en matière de développement durable». Par contre, à la différence des écoquartiers, les résidants participent à toutes les étapes du projet. Ce qui fait dire au président du groupe environnemental Vivre en ville, Alexandre Turgeon, que la Ville de Québec gagnerait à s’en inspirer dans ses propres projets d’écoquartiers.
Un projet qui a failli avorter
Malgré ces bonnes nouvelles, 25 % des projets du genre avortent, selon Michel Desgagnés. C’est d’ailleurs ce qui a failli se produire en 2008, quatre ans après les premiers pas de Cohabitat. Incapable de se mettre d’accord sur le mode de décision et le choix du terrain, le groupe avait littéralement implosé. «On s’est trouvé un bouc émissaire. On pensait que s’il partait, ça allait régler le problème. Mais ça a eu l’effet d’une bombe. Les trois quarts des gens sont partis», raconte-t-il.
«Suite à ça, on a arrêté le projet et moi, je suis allé faire une formation en leadership à Montréal», raconte-t-il. À son retour, les trois ménages restants décident de choisir le terrain avant de recruter de nouveaux membres. En 2010, 13 ménages s’ajoutent, dont 7 de l’ancien projet.
Et qu’advient-il si un membre de la communauté nous est insupportable? «C’est un faux problème», rétorque Alexandre Turgeon. À son avis, on court autant de risques d’avoir des problèmes avec ses copropriétaires quand on achète un condominium.
Michel Desgagnés ajoute que lorsque ça marche, la satisfaction n’en est que plus grande. «C’est comme la différence entre vivre seul ou en couple. Tout seul, t’as la sainte paix et personne ne te dérange. Quand t’es en couple, y a des moments où c’est plus pénible que quand t’es seul. Mais quand ça va bien ensemble, ça devient plus grisant à deux.»