Québec Urbain

L’Urbanisme de la ville de Québec en version carnet…


Des bretelles d’autoroutes contraires au bon sens

Par Envoyer un courriel à l’auteur le 6 juin 2021 9 commentaires

François Bourque
Le Soleil

Le projet de tunnel Québec-Lévis va à contresens de la tendance au démantèlement et à la transformation d’autoroutes urbaines bâties dans des années 50 à 70.
Le New York Times faisait état il y a quelques jours d’une trentaine de projets concrets dans autant de villes américaines.

Le gouvernement Biden vient de donner un nouvel élan au mouvement avec un plan de 20 milliards $US pour reconnecter des quartiers divisés par des autoroutes urbaines.

La direction est donnée. Un peu partout, des élus et acteurs locaux se mobilisent dans les grandes villes comme dans de plus petites.

Boston, Detroit, Buffalo, Syracuse, Rochester, La Nouvelle-Orléans, Dallas, Austin, Kansas City, Seattle, Denver, Atlanta, Arlington, Tampa, etc.

Au Canada, les transformations d’autoroutes sont à ce jour financées à la pièce et on ne sent pas d’appétit pour un programme plus ambitieux.

«Il faudrait que le leadership vienne des provinces ou des villes», expose le président du Conseil du trésor et député de Québec, Jean-Yves Duclos.

Le fédéral a cependant cessé de financer la construction de nouvelles autoroutes, rappelle-t-il. C’est déjà ça.

Cela n’empêche pas d’aller en direction contraire.

L’illustration ci-jointe, tirée d’une vidéo promotionnelle, donne une idée de l’ampleur des structures requises pour faire sortir le tunnel Québec-Lévis dans Saint-Roch.

Il s’agit d’une illustration préliminaire. Il est probable que les nouvelles voies ne passeront pas exactement aux endroits indiqués. Mais si le gouvernement insiste pour brancher le tunnel sur l’autoroute Dufferin-­Montmorency et permettre un accès direct au boulevard Charest, il faudra de nouvelles connexions.

L’illustration ne montre pas le corps principal du tunnel, qui va émerger sur l’autoroute Laurentienne, près du boulevard Hamel.

Mince consolation pour ceux qui souhaitent moins d’autoroutes en ville, le gouvernement accepte de transformer en boulevard l’extrémité sud de Laurentienne. Reste à souhaiter que l’échéance ne soit pas liée à celle du tunnel (2031. NDLR Dans la version papier j’ai indiqué par erreur 2036).

Les autoroutes urbaines au Canada ne transportent pas le même passé ni la même charge sociale qu’aux États-Unis. Il n’y a donc pas le même symbole à vouloir s’en débarrasser.

Chez nos voisins, ces autoroutes sont souvent encore des barrières physiques entre des quartiers noirs et blancs ou ont encouragé la ségrégation.

Des Blancs ont pris l’autoroute pour aller vivre dans de jolies banlieues. Des minorités qui n’en avaient pas les moyens sont restées à l’ombre d’autoroutes ou ont été chassées pour faire place à de grands projets commerciaux et immobiliers.

Là où les enjeux se rejoignent, c’est sur l’impact urbain et environnemental de ces autoroutes. Et sur l’intérêt parfois à en démanteler : baisse de pollution, hausse de valeur de propriétés, potentiel nouveau de développement, amélioration de la qualité de vie, meilleure connectivité des quartiers, etc.

Cela s’accompagne parfois d’un embourgeoisement du voisinage, mais c’est le cas aussi des nouveaux parcs dans des quartiers défavorisés.

Le mouvement de démantèlement d’autoroutes urbaines remonte à une trentaine d’années. Une autoroute de San Francisco endommagée par le tremblement de terre de 1989 n’a pas été reconstruite.

D’autres villes ont suivi, pour des raisons différentes bien sûr.

Il y a de beaux exemples à Mont­réal : conversion de l’autoroute Bonaventure en boulevard Robert-Bourassa; démolition de l’échangeur des avenues du Parc et des Pins, etc.

On en trouve aussi à Québec. Le boulevard «autoroutier» René-Lévesque a été remodelé et plus récemment, le boulevard Champlain.

Le démantèlement de bretelles de l’autoroute Dufferin-­Montmorency, au milieu des années 2000, procédait de la même logique. Améliorer le paysage et la qualité de vie.

Le maire L’Allier rêvait à l’époque de les remplacer par un parc et un grand escalier vers la haute-ville.

J’ai souvent pensé depuis qu’on aurait dû en profiter pour retirer aussi la bretelle de la rue Fleurie pour dégager un espace encore plus intéressant.

Des étudiants de l’école d’architecture de l’Université Laval avaient même proposé d’exploser complètement l’autoroute aérienne entre la colline Parlementaire et la rivière Saint-Charles.

Ce «geste extrême» aurait transformé (pour le mieux) le paysage de Saint-Roch. Le jury de la charrette (atelier de travail) avait d’ailleurs primé cette idée.

Cela aurait été une catastrophe pour le réseau routier, avait alors commenté le service des transports de la Ville.

La crainte des impacts sur la circulation est toujours ce qui freine les réflexions sur les autoroutes urbaines.

Rochester, NY, avait aussi cette crainte lorsqu’elle a démantelé 1,6 km de son «Inner Loop» pour en faire un boulevard urbain, raconte le New York Times.

La Ville était cependant résolue à un virage majeur : cesser d’essayer d’amener et de sortir rapidement les gens du centre-ville; viser plutôt à rendre le centre-ville plus agréable à vivre et plus attractif.

Il n’y a pas eu d’effet catastrophique sur la circulation à Rochester qui envisage maintenant l’abandon d’un second segment du «loop».

À l’époque des grands chantiers d’infrastructure des années 50, 60 et 70, des villes ont résisté mieux que d’autres à la tentation des autoroutes.

Vancouver et Halifax n’en avaient pas voulu en bordure de l’eau dans leurs centres-ville. Elles s’en félicitent sans doute aujourd’hui.

D’autres cherchent à réparer leurs mauvais choix.

On ne peut pas dire que Québec a été très avant-gardiste ou visionnaire avec ses autoroutes Champlain et Dufferin-Montmorency le long du fleuve. Et avec celle de la colline Parlementaire.

D’autres projets routiers qui auraient balafré davantage le centre-ville ont heureusement été laissés en plan. L’autoroute à flanc de falaise dans le coteau Sainte-Geneviève, par exemple.

Il est toujours plus simple de ne pas construire un projet hasardeux que d’essayer de le déconstruire plus tard, lorsqu’on constate que c’était une erreur.

Dans les années 90, la mairesse Boucher proposait de transformer l’autoroute Duplessis en boulevard urbain. Elle parlait aussi d’enfouir Henri-IV dans un tunnel pour la traversée de Sainte-Foy.

Le ministère des Transports qui tenait (et tient toujours à ses autoroutes) l’avait vite rappelée à la «raison».

À défaut de retirer des autoroutes entières, de petits gestes peuvent parfois contribuer à réduire l’empreinte du modèle autoroutier en milieu urbain.

Québec vient par exemple de gommer la bretelle au coin du chemin des Quatre-Bourgeois et de la route de l’Église. On dit bravo. Cela va dans la bonne direction.

L’usure du temps est souvent un élément déclencheur pour réfléchir à l’avenir des autoroutes. À cause des coûts énormes de reconstruction et parce que l’occasion se présente d’imaginer autre chose.

À l’approche de la date d’expiration des grands ouvrages autoroutiers de l’époque, je ne sens pas chez nous que cela soulève beaucoup d’intérêt.

On reconstruit échangeurs, autoroutes et ponts d’étagement à coup de centaines de millions de dollars à la fois. Sans débat public, comme si tout allait de soi et était essentiel à la vie de la ville.

Tout le monde ne peut pas s’improviser expert de la gestion du réseau routier. Mais il serait intéressant de se demander parfois s’il y a d’autres hypothèses possibles. Même si c’était pour en conclure qu’il est nécessaire de reconstruire.

Québec n’est pas la seule à remplacer des ouvrages de béton et d’asphalte. Elle en profite parfois pour leur donner plus d’ampleur et ajouter des voies.

Reconstruire des bretelles d’autoroutes en plein centre-ville défie cependant l’entendement. Cela va à contresens de toutes les valeurs d’urbanisme et de qualité de vie en ville.

Ce modèle d’une autre époque ne tient plus la route. Que l’on soit convaincu ou pas de la nécessité d’un tunnel Québec-Lévis.

L’impact urbain n’est jamais mesuré dans les sondages sur le troisième lien.

On y évoque parfois les coûts, l’utilité pour la sécurité, on mesure les préférences de localisation, etc. Mais pas les conséquences urbaines.

En juin 2018, peu avant l’élection de la CAQ, un sondage Léger (1600 répondants) donnait au troisième lien un appui de 90 % à Lévis et de 76 % à Québec.

Un nouveau Léger (1000 répondants) publié il y a quelques jours (Journal de Québec) ne lui donnait plus qu’une légère majorité (46 % pour, 43 % contre) dans la RMR Québec.

Moins que le Mainstreet-­Capitale-Nationale (1521 répondants) commandé par la Coalition avenir Québec : 60 % pour et 40 % contre.

Je serais curieux de voir la réponse si la question était la suivante : Pour ou contre un troisième lien de 10 milliards dont l’utilité n’est pas démontrée et qui serait construit sur un modèle urbain passé date?

L’article

Voir aussi : Projet - Troisième lien.


9 commentaires

  1. « Le » lecteur assidu

    6 juin 2021 à 10 h 02

    ♨️ Réaction à… chaud

    🔲 « Le projet de tunnel Québec-Lévis va à contresens de la tendance au démantèlement et à la transformation d’autoroutes urbaines bâties dans des années 50 à 70. »

    🔶 C’est exact.
    🔶 Mais allons plus loin que la simple tendance.
    🔶 Ne serait-ce que par sa longueur, je craindrais de l’emprunter le jour où… Oui, le jour où va inévitablement se produire, malheureusement, un accident majeur et que j’y soit pris « en sandwich » !
    🔶 Domicilié dans l’ancienne ville de Villeneuve, on pourrait croire que ce tunnel et sa connexion proposée m’inciteraient à l’utiliser. « Ben » non !
    🔶 Toutefois, autant j’ai plus que de simples réserves à ce sujet, autant je prône un tunnel dédié au transport en commun tel que déjà détaillé amplement dans mes commentaires antérieurs.

    🔲 « Je serais curieux de voir la réponse si la question était la suivante : Pour ou contre un troisième lien de 10 milliards dont l’utilité n’est pas démontrée et qui serait construit sur un modèle urbain passé date? »

    🔶 Pour moi, que le coût de ce projet de tunnel soit de 10 milliards… ou même beaucoup moins, importe peu.
    🔶 En effet, le concept soumis s’avère à l’encontre de ma vision ci-haut rappelée et déjà amplement décrite.

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  2. Jeff M

    6 juin 2021 à 11 h 13

    Le coup des bretelles vers Charest….
    Je sais pas quoi dire…
    Les mots me manquent.

    Il est plus qu’évident que cet endroit ne peut accueillir un flux supplémentaire important.
    Il est plus qu’évident que l’impact se fera sentir sur la qualité de vie de ce quartier.

    J’essai de comprendre comment ils sont arrivé à ça. Comment une ultime tentative de protéger la compétitivité de l’auto vs le transport en commun.

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  3. paradiso Utilisateur de Québec Urbain

    6 juin 2021 à 17 h 32

    Bourque est toujours intéressant à lire, mais un moment il faut arrêter de penser en termes de tendances, et analyser froidement les défis posés par la géographie de Québec.

    Plus de dix ans après le démantèlement des bretelles qui allaient droit dans le mur, ce secteur reste un No man’s land. Les bretelles restantes empêchent toute véritable reconnexion du tissu urbain entre St-Roch et le Vieux-Port.

    La transformation de l’autoroute Dufferin-Montmorency en boulevard urbain (et l’élimination des bretelles restantes) est un chantier sur 20, 30 ans dont il a déjà été question sur ce blogue, mais qui n’est pas près de démarrer selon moi.

    Alors on fait quoi?

    Le pont Pierre-Laporte est saturé. Le tablier du pont de Québec arrive en fin de vie. Dans ce contexte, le 3e lien a une dimension stratégique, non seulement pour la RMR, mais pour tout l’est du Québec.

    Tant qu’à rester avec les deux bretelles survivantes de 1974 et un No man’s land, aussi bien faire sortir le 3e lien tel qu’illustré — si cela peut éviter la construction d’un coûteux tunnel vers Fleur-de-Lys.

    Si l’on construit un tunnel débouchant à Fleur-de-Lys, profitons-en pour développer la vision proposée par les étudiants de l’université, et refermer cette plaie béante. Personnellement, je rêve d’une rue Saint-Joseph débouchant sur la magnifique gare du Palais!

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    • Che

      7 juin 2021 à 07 h 20

      « Si l’on construit un tunnel débouchant à Fleur-de-Lys, profitons-en pour développer la vision proposée par les étudiants de l’université, et refermer cette plaie béante. Personnellement, je rêve d’une rue Saint-Joseph débouchant sur la magnifique gare du Palais! »

      Quand même étrange qu’on vise à éliminer une autoroute à un endroit pour en construire d’autres ailleurs. C’est vraiment juste dépenser pour dépenser.

      Pour ma part, j’aimerais qu’on soit un peu plus cohérent dans notre vision de développement urbain.

      PS : Le démantèlement des bretelles dans St-Roch a quand même permis d’améliorer ce secteur. Je ne dis pas qu’il va y avoir des condos qui vont se construire dans les terrains laissés vacants. Cependant, l’endroit est certainement plus lumineux et agréable qu’avant. Je réagis avec horreur qu’on vise un retour en arrière avec ce projet.

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  4. Benoit Bibeau

    7 juin 2021 à 10 h 16

    J’ai beau tourner ça de tous bords tous côtés, je vois mal comment on va à la fois connecter une sortie/entrée de tunnel sur l’autoroute Dufferin à la hauteur de St-Roch (potentiellement 4 voies), tout en aillant un arrêt de transport en commun pour la station de tramway Jean-Paul Lallier.

    À moins que la connection automobile vers Dufferin (branche de tunnel) débute très tôt sous le sol et vienne ultimement sortir de la falaise en hauteur en évitant une empreinte au sol dans le coin de l’ilôt fleurie. Comme un souvenir de ce projet prévu à l’époque, et qui nous laissa des bretelles inutiles pendant un bon moment, qu’on finira pas détruire….

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  5. PPDaoust

    7 juin 2021 à 13 h 27

    Pour ma part, je suis déçu du silence de Régis Labeaume.

    Je sais bien qu’il ne veut se mettre à dos le gouvernement, mais il est encore le maire de Québec. Qui plus est, il habite un quartier central.

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    • Insdr

      7 juin 2021 à 17 h 51

      Sacrez-moi patience avec Labeaume! Avez-vous entendu les commentaires de la vice-première ministre? La seule raison que la CAQ a plié sur le tramway c’est pour en faire du green-washing avec son projet de tunnel pharaonique.

      Avec des alliés comme elle Labeaume n’a pas besoin d’ennemi, on aurait cru entendre une porte parole de Québec 21!

      Quand Jean Rousseau qui aux dernières nouvelles n’est pas membre du parti politique de Labeaume se plaint du biais de la CAQ envers Québec21, ça en dit long!

      Misère.

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      • PPDaoust

        8 juin 2021 à 09 h 35

        Je sais bien que nos élus ne lui mangent plus dans la main. En tout Cas j’espère qu’une fois retiré et que la construction du Tram sera irréversible, il va enfin dire ce qu’il pense.

        On sait tous que le projet actuel sera mis de côté ou amendé dès que la CAQ pourra le faire sans trop perdre de votes. Ils sont les premiers à savoir que l’ampleur du projet qu’ils ont présenté est intellectuellement injustifiable et techniquement impossible. C’est tellement gros et absurde qu’ils ont probablement fait exprès.

        Reste que je compte sur Régis pour ramener la raison aux électeurs aveugles aux impacts démocratiques, environnementaux, sociaux et économiques de ce piège à cons.

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  6. Che

    8 juin 2021 à 15 h 33

    En regardant les illustrations de plus près, je constate que la sortie Charest direction EST en provenance de Dufferin va être retirée, et remplacée par une rampe qui se connecte au tunnel. L’ensemble du traffic provenant de l’est va devoir prendre la bretelle qui débouche sur la rue du Pont.

    De plus, plusieurs vont sortir sur Dufferin Est et prendre la sortie Des Capucins pour faire demi-tour et rejoindre la haute-ville…

    On a bien beau construire des bretelles dans ce secteur, il y a très peu de capacité routière pour absorber le nouveau traffic en provenance de la rive-sud. Même avec un troisième lien sous-utilisé, on va se retrouver avec plus de bouchons à l’entrée de la ville.

    On va donc empirer le traffic en provenance de Beauport pour répondre aux besoins de la rive-sud. Pas très winner.

    Disclaimer : J’habite à Beauport.

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