Québec Urbain

L’Urbanisme de la ville de Québec en version carnet…


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L’avenue du tramway – Chapitre 2: la machine à perche et la 1ere avenue

Par Envoyer un courriel à l’auteur le 8 mai 2011 9 commentaires

Enfant, Gilles Néron déménage sur la première Avenue et découvre le tramway, qui sera le fil conducteur de ce récit de sa jeunesse. Un incroyable témoignage.

Épisode précédent:
L’avenue du tramway – Chapitre 1: Le déménagement

J’étais tout à mes découvertes quand une nouvelle fois le Ding Ding clair s’est fait entendre. Le tramway repassait en titubant et en grinçant. Encore une fois je courus au salon pour voir la machine à perche. Ce fut ainsi jusqu’à l’heure de me coucher. Dans la noirceur le spectacle de la machine bruyante était encore plus saisissant. Elle ressemblait à un char allégorique avec ses nombreux châssis illuminés, ses éclairs métalliques qui fusaient du fil électrique et ses bruits de crécelle au rythme irrégulier. Quel bonheur d’habiter la rue du tramway!

Le circuit de la 1ère Avenue était le plus long de ce service de transport en commun. De fait, sa route consistait en deux boucles qui se rejoignaient pour franchir la Côte d’Abraham, seul endroit où les voies étaient parallèles : dans la haute-ville le rail passait devant le Parlement et tournait à gauche à l’entrée des Plaines. Il empruntait ensuite la rue Saint-Louis. À partir de la Place d’Armes, où se trouvaient le Palais de Justice, le Château Frontenac et la Terrasse Dufferin, le tramway descendait par la Fabrique en saluant au passage la Basilique de Québec et l’Hôtel de ville. Il suivait par la suite la rue Saint-Jean; jusqu’au Carré d’Youville, place du Capitole et du Palais Montcalm. Dans la basse-ville il allait vers le nord par la rue de la Couronne, puis filait sur la 1ère Avenue jusqu’à Lamontagne pour atteindre le terrain de l’Exposition provinciale. Aussitôt après cet arrêt, qui servait de terminus, il franchissait le parcours le plus détestable du circuit, soit le coin des maisons délabrées de Stadacona, –Stocane en langue populaire,- et la Pointe-aux-Lièvres pour revenir par Dorchester à la rue Saint-Joseph, l’artère la plus commerciale de la ville, au pied de la Côte d’Abraham. Ce circuit convenait à mon père parce qu’il se rendait facilement au ministère des Finances, où il travaillait. Il faut dire que toute l’administration provinciale était alors située sur la colline parlementaire.

Le tramway à trolley passait aux quarts d’heure à vitesse réduite en ne cessant pas de s’annoncer au moyen de sa clochette et de son bruit de fer frictionné. Le conducteur, la plupart du temps debout, répétait après chaque arrêt : Avancez en arrière s’il vous plait! Moove backward, please! qu’il y ait du monde ou pas. Sûrement que l’engin avait besoin de cette phrase bilingue pour se remettre en marche. La propriétaire de la ligne était la Quebec Power, une compagnie qui ne fonctionnait qu’en anglais, d’où l’importance de l’avertissement dans les deux langues même si tous les passagers ne parlaient que le français. Des passagers il y en avait toujours et parfois trop, car souvent aux heures de pointe et dans la semaine de l’Expo, ce wagon électrique débordait au point où la porte avant était laissée ouverte pour admettre des gens qui se tenaient sur le marche pied. Il va sans dire que ces passagers quasi-clandestins devaient payer leur passage. Ticket please! Et on ne se mettait pas en marche tant que tout le monde de l’extérieur n’ait payé. Il fallait voir le conducteur se démener pour aller chercher billet ou argent.

Le bruit que faisait le tramway était une curiosité à lui tout seul. C’était un mélange de crissements de roues de fer sur le fer rouillé des rails, de craquements de planches de bois écréanchées et de grésillements venant de la perche qui se plaignait de son frottement sur le fil. Tous ces sons se combinaient avec une marche incertaine. Se dandinant d’un côté et l’autre de la voie ferrée, le tramway ressemblait à une grosse dame qui essayait un pas de danse sur un plancher inégal. Cela me fascinait à chaque passage.

Les flammèches qui accompagnaient le véhicule tout le long de l’avenue donnaient à penser que le courant électrique courait sur le chemin de fer lui-même. Je me méfiais tellement des rails que je n’osais mettre le pied dessus. S’il fallait traverser la rue, je sautais littéralement pas dessus les deux rangées de fer. Néanmoins, j’étais fasciné par l’appareil. C’est ce qui explique que dans les premiers jours, j’allais attendre mon père à l’arrêt du coin. Au son de la cloche du petit train, je sautais de joie et il arrivait même que, chose rare, papa souriait en descendant de la joyeuse machine. Ding Ding, voilà les gens qui viennent de la ville ou qui s’y rendent. Ils avaient tous l’air si heureux d’être à bord.

Monter dans le tramway était pour les jeunes enfants un exploit, car les marches étaient espacées, particulièrement la première marche qui était très haute pour des petites jambes. J’ai demandé la raison de cette distance avec le sol à mon père qui a répondu que c’était à cause de la neige. C’était tout à fait plausible, car les rues n’étaient pas déblayées dans la nuit qui suivait une forte chute de neige. Il fallait compter au moins deux jours avant que le pavé soit déblayé. Les voitures électriques devaient fournir un service de transport même dans les tempêtes de neige c’est pourquoi elles étaient équipées d’une gratte sur le devant pour se frayer un passage. Ces jours de mauvais temps les changeaient complètement; elles devenaient étrangement silencieuses dans l’épaisse couche ouateuse. Plus de bruits insolites, les roues de fer glissaient sur les rails comme des skis sur une pente douce. Plus de craquements de bois parce qu’on les ralentissait pour traverser les bancs de neige. Les tramways de l’hiver étaient plus accommodants mais aussi moins spectaculaires.

Marcher dans ces machines qui avaient le roulis d’une goélette sur des eaux agitées demandait tout un apprentissage. Pour nous rendre à une banquette nous tenions la main de notre mère si étroitement qu’elle s’en plaignait. Voyons Gilles tu n’es plus un bébé. Tu me fais mal. Si tu ne peux pas marcher assis-toi là, disait-elle en désignant la banquette la plus proche.

Bien entendu c’était l’affaire de quelques instants avant que nous redevenions les petits diables qui ne craignaient plus le plancher en mouvement. Nous avions rapidement appris à avoir le pied de l’usager de ce type de transport.

Pour nous, le tour le plus agréable était le plus long, soit celui qui nous conduisait aux Plaines d’Abraham. Non seulement nous traversions toute la ville, mais avions l’occasion de voir les principales places avec leurs enseignes et leurs vitrines. Et la Côte d’Abraham que montait l’engin comme par miracle offrait des émotions. À chaque fois je me demandais s’il allait réussir à passer le monticule de la jonction avec la Côte Sainte-Geneviève. Toujours il réussissait malgré ses plaintes. Certains dimanches nous nous rendions jusqu’à la Terrasse Dufferin pour apercevoir de haut le fleuve Saint-Laurent et les gros bateaux qui le sillonnaient. Mon père disait que c’était des steamers, même s’il y avait un bout de temps qu’ils fonctionnaient au mazout. C’était une fête de passer les portes des Remparts, rue Saint-Louis et rue Saint-Jean. La descente de la rue Saint-Jean, nous amenait aux pays des restaurants rutilants avec plein de monde sur les trottoirs.

Ce Québec tout ramassé sur lui-même m’apparaissait comme un grand jeu de trains électriques. Ces engins étaient vraiment les maîtres des rues étroites où peu d’autos circulaient. Effectivement ils m’ont permis de découvrir la ville. C’est au cours de ces années passées sur la 1ère Avenue que j’ai connu les grands magasins aux mille marchandises, la parade du Père Noël et de ses rennes, l’Expo et ses amusements, le défilé de la Saint Jean-Baptiste sous un soleil de plomb, la Fête-Dieu en habit de petite communion, la Fête aux flambeaux du Sacré Cœur, le marché Saint-Roch et ses odeurs diverses, les quais noirs de charbon du bassin Louise, l’ascenseur du Faubourg, la gare victorienne du Palais, la fontaine du Sauvage en face du Parlement, Le Musée avec sa collection d’animaux empaillés et tant d’autres choses. Le tramway donnait accès à tous les coins de la ville par le jeu des correspondances. Ce n’était pas sorcier puisque pour couvrir tout le territoire il ne fallait que deux circuits additionnels dans l’axe perpendiculaire, un dans la haute-ville sur Saint-Jean/Sainte-Foy et Saint Cyrille, l’autre dans la basse-ville sur Charest et Saint-Joseph. Ce moyen de transport conduisait dans toute la ville en plus d’être amusant.

Le tramway a conféré une vigueur nouvelle aux rues où il circulait. C’est ainsi qu’il a été cause du développement rapide de la 1ère Avenue, appelée autrefois le Chemin de Charlesbourg, au point où notre artère est devenue la principale rue de Limoilou. Bordée de commerces, d’industries et aussi de belles demeures bourgeoises, cette voie faisait tout à fait quartier neuf. De fait, on y trouvait de tout ce qu’offre habituellement une grande ville. Du côté de la rivière, il y avait les activités industrielles et les grands commerces et du côté du quartier, les résidences et les petits commerces. C’est ainsi que la cour à bois Lefrançois s’était installée près du pont Drouin, en bordure de la Saint Charles, exemple suivi par une kyrielle de garages, de vendeurs d’auto et d’entreprises de transport comme la compagnie Nolin juste en face de chez nous. C’est ce côté qu’avaient choisi l’église et l’hôpital Saint-François d’Assise. L’autre bord recevait les résidences et les magasins essentiels à une population, épiceries, boucheries, pharmacies, ainsi que les stations service et les bureaux professionnels.

Demain: Chapitre 3: Jean Béliveau au Petit Colisée

Voir aussi : Témoignage, Voyage dans le temps.

L’avenue du tramway – Chapitre 1: Le déménagement

Par Envoyer un courriel à l’auteur le 7 mai 2011 10 commentaires

Je vous propose ce matin le premier des six chapitres des souvenirs de jeunesse de Gilles Néron. Enfant, monsieur Néron déménage sur la première Avenue et découvre le tramway, qui sera le fil conducteur de ce récit de sa jeunesse. Un incroyable témoignage que j’ai dévoré d’un bout à l’autre.

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Un Ding Ding sonore se fit entendre quand la famille est arrivée dans son nouveau logement de la 1ère Avenue. C’était le premier jour du mois de mai, jour des déménagements pour toute la ville de Québec en ce temps-là. Aussitôt je regarde par la fenêtre du salon et je vois une drôle de machine équipée d’une perche qui circule au centre de la rue en branlant d’un bord à l’autre. Maman voyant ma surprise me dit sans attendre ma question que c’était le tramway qui passait. Mais c’est quoi un tramway?. Elle répond que c’est comme un autobus sur des rails. Ma réaction est alors de vouloir faire un tour dans ce véhicule qui ressemblait à un wagon de train sans locomotive. Pas aujourd’hui, dit-elle sèchement. Dès cet instant, j’ai eu une haute idée de l’endroit où nous allions demeurer; l’avenue du tramway me semblait une rue à part, une rue où habitaient des gens riches.

Cette impression favorable s’est accrue quand des hommes de magasins sont venus déposer les quelques meubles que mon père venait d’acheter chez Woodhouse, lits, ensemble de cuisine et fauteuils de salon. Un visite plus détaillée de la place accentua ce sentiment de m’élever dans l’échelle sociale. Plus question de grimper trois étages pour rejoindre notre logis comme dans le meublé de la rue Dupont. Le logement était au rez-de-chaussée avec seulement trois marches à franchir pour accéder à la galerie de la porte avant. De plus, l’appartement me sembla très vaste avec ses quatre pièces, sa salle de toilette dotée d’un lavabo et d’un bain et sa galerie arrière qui donnait sur une grande cour clôturée. Tout était si différent du petit trois pièces que nous avions quitté le matin même. Il y avait une pièce nouvelle pour nous, soit un salon comme chez grand-papa Nous avions aussi une cuisine fermée avec un gros poêle Bélanger déjà installé, et derrière une porte, un escalier qui descendait vers une cave aux mille mystères. Je faisais déjà des projets de jeux dans cet espace obscure sans savoir à ce moment que j’allais utiliser cet l’escalier plus souvent pour aller quérir le bois que le poêle engloutissait à un rythme effarant les jours d’hiver que pour y aller jouer. J’entends encore la phrase de maman, tous les soirs après souper des mois de froidure : Gilles as-tu monté le bois?

Pourtant c’était facile de voir que je ne l’avais pas fait, la boîte à bois était à cette heure du jour toujours vide. Mais, il ne me venait pas à l’esprit de faire la chose de mon propre mouvement, j’attendais l’ordre d’en haut. C’est ce qu’on appelle la soumission institutionnelle comme dans tout groupe organisé.

Pour revenir à la nouvelle demeure, nous ressentions, mon frère Alain et moi, une grande joie du fait d’habiter une maison bien à nous. Un logis débarrassé des voisins qu’on entendait parler au travers des murs minces comme du carton et qui se montraient curieux de tout ce qui nous faisions et sans les corridors mornes qui nous avertissaient du passage des gens comme des souris. De plus, la cour arrière nous invitait comme elle était entièrement à notre disposition, ce qui fut rapidement le cas, car nous y avons régné en maîtres absolus durant tout notre séjour à cette adresse.

Demain: Chapitre 2: la machine à perche et la 1ere avenue

Voir aussi : Témoignage, Voyage dans le temps.