Québec Urbain

L’Urbanisme de la ville de Québec en version carnet…


Normand Provencher et les quartiers centraux

Par Envoyer un courriel à l’auteur le 4 février 2005 84 commentaires

Stadacona… Limoilou… Les quartiers centraux ont déjà vécu des jours meilleurs…

S.O.S. Stadacona

Petit après-midi tranquille chez le barbier André Marcoux, dans la paroisse Stadacona du Vieux-Limoilou. Il fait moins on-sait-plus-trop-combien à l’extérieur. Sans doute les hommes ont-ils décidé, histoire d’être plus au chaud, de se garder un peu de cheveux sur le caillou. Ils viendront lorsque ce sera plus doux. M. Marcoux joue du ciseau et du peigne depuis 35 ans, dans son petit salon de la rue François-1er. En fermant les yeux et en imaginant la vie en noir et blanc, on se croirait presque dans le film des frères Coen, celui où Billy Bob Thornton joue le rôle d’un barbier taciturne des années 50, qui voit sa vie prendre une méchante débarque, enfin, ce serait trop long à raconter, louez le film plutôt, il est excellent. Surtout les scènes où Thornton fume en noir et blanc.

André Marcoux a la parole plus facile que le barbier du film. Il est plus sympathique aussi. On comprend pourquoi son établissement a survécu aux années. Il en est passé du monde sur sa chaise. André, 24 ans, venait ici lorsqu’il était haut comme trois pommes pour se faire dégager les oreilles. Il arrête encore faire son tour à l’occasion, pas nécessairement pour une coupe, mais pour refaire le monde et le quartier.

Mardi après-midi, il est passé avec son ami « Elvis » Asselin, la jeune quarantaine, grand amateur du King, qu’il aime imiter lorsqu’il a un verre dans le nez. A jeun, avoue-t-il, il est trop gêné. A l’écouter, il aurait fait un malheur, dans le temps, au Bar à l’os et à la Völks.

Toujours est-il qu’André est arrêté chez le barbier Marcoux pour lui parler de son auto qui était au garage, vous savez, le genre de choses à la fois banales et primordiales, qui permettent de continuer la conversation une fois qu’on a dit que ça va pas pire et qu’il fait frette en maudit.

André a grandi dans la paroisse Stadacona, un pittoresque coin de la ville adossé à la rivière Saint-Charles et au parc Cartier-Brébeuf. « Stocane », comme l’appellent les gens du coin. A une certaine époque, raconte André, il suffisait de dire que tu venais de « Stocane » pour voir le monde partir en peur. C’était avant le Wolf Pack.

André a beau avoir seulement 24 ans, mais il est déjà nostalgique. Ce n’est plus comme avant, dit-il, en se rappelant les années 90. Trop de voleurs aujourd’hui, il faut barrer nos autos. C’est rendu qu’on se fait même voler nos bouteilles vides si on les laisse sur la galerie. André me raconte tout cela debout, juste sur une patte, en passant son temps à regarder dehors par la fenêtre de la porte, la tête d’un bord, la tête de l’autre. Si le feu prenait quelque part ou si une madame se faisait voler sa sacoche, c’est certain, André serait le premier à le voir.

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André a fait son primaire juste en haut de la côte, à l’école Stadacona. C’est la brigadière Raymonde Turcotte qui lui faisait traverser la rue. Je ne lui ai pas demandé, mais certain que c’était elle, la madame est sur le même coin de rue depuis 25 ans, matin, midi et soir, angle François-1er et de l’Espinay.

La rue n’est pas large, mais dès qu’un gamin se pointe, seul ou avec sa mère, Raymonde va à sa rencontre, sa pancarte stop brandie bien haut. Vingt-cinq ans à faire traverser des marmots qui ont fini par grandir, qui ont eu des enfants à leur tour, et à qui Raymonde fait aujourd’hui traverser le même coin de rue.

Raymonde n’a pas l’impression de travailler, tellement elle aime ce qu’elle fait. Le matin où elle n’aura plus de plaisir, elle restera à la maison, juste là, qu’elle me montre avec sa pancarte, l’autre bord de la rue. Ce jour-là pourrait bientôt arriver si l’école primaire Stadacona ferme ses portes. C’est dans l’air. Les élèves sont de moins en moins nombreux. L’édifice vieillit et a besoin de grosses réparations. La commission scolaire, malgré l’opposition des parents, parle d’envoyer les enfants plus loin, à l’école Saint-François d’Assise. Il y aurait plus de 500 élèves à cet endroit, rien à voir avec cette petite école de quartier, cinq fois moins populeuse.

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Il y a l’école Stadacona, mais il y a aussi l’église Saint-Zéphirin, juste en face, qui en arrache. Comme dans toutes les paroisses du Québec, la fabrique n’arrive plus à joindre les deux bouts. Pour cette année, l’église est sauvée, mais personne ne peut prédire la suite des choses.

L’église de Saint-Zéphirin est l’une des plus célèbres de Québec. En 1952, elle a accueilli le tournage du film La Loi du silence, d’Alfred Hitchcock. Robert Lepage, parti sur les traces du grand réalisateur, est retourné au même endroit, en 1994, pour Le Confessionnal. On comprend les deux cinéastes d’avoir craqué pour cette église. Avec son charme mystérieux, elle est l’une des plus belles de la ville.

S’il y en a une qui ne souhaite pas la fermeture de l’église Saint-Zéphirin, c’est bien Ghislaine Gravel. Depuis six ans, au sous-sol de l’édifice, elle dirige comme un chef d’orchestre les services de La Bouchée généreuse. L’organisme est au coeur de la vie communautaire de la paroisse. C’est ici que les plus démunis du quartier, et ils sont nombreux, se retrouvent pour se nourrir et se vêtir à peu de frais. Pour briser leur solitude et leur isolement aussi.

Ghislaine prend une grosse demi-heure de son temps qu’on devine précieux pour m’expliquer tout ce qui se fait à La Bouchée généreuse : soupe populaire, vestiaire, déjeuners pour les enfants de l’école Stadacona, collations, services juridiques gratuits, j’en passe et j’en oublie. C’est comme rien, dans cette PME de l’entraide, les journées doivent compter plus que 24 heures.

Tous les jours, Ghislaine voit la misère des gens du quartier. Elle est la première à se demander ce qui arriverait si l’église devait fermer. La Bouchée généreuse, c’est comme une grande famille dans le quartier. Sa disparition laisserait une plaie béante dans le paysage.

Stadacona a perdu sa caisse populaire il y a cinq ans. Comme c’est parti, son école primaire n’en a plus pour longtemps. Son église survit avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Finalement, c’est André qui a sans doute raison : ce n’est plus comme avant à « Stocane »…


Normand Provencher 27 janvier 2005. Reproduit avec autorisation

Un vide dans le quartier

J’ai toujours adoré le quartier Limoilou. Même si je ne l’ai jamais habité, je me sens chez moi chaque fois que j’y mets les pieds, c’est-à-dire pas assez souvent à mon goût. Si l’ancêtre du Clap, La Boîte à films, avait toujours pignon sur rue dans la 3e Avenue, ce serait différent, mais bon, on n’est quand même pas pour sombrer dans la nostalgie alors qu’il fait si beau dehors et que Phil la marmotte a pris son trou pour encore quelques semaines, satanée bestiole.

Limoilou, donc. Il n’y a pas plus bel endroit pour goûter à la vie urbaine, dans ce qu’elle peut avoir de plus pittoresque. Les logements, encore abordables, ont du cachet à revendre. Il y a des rues avec des arbres magnifiques, immenses, majestueux, comme vous n’en trouverez nulle part ailleurs. Des escaliers, plein d’escaliers qui tournicotent. Il y a des jeunes et des moins jeunes, des Québécois de souche et des immigrants, des travailleurs et des étudiants, des troquets sympathiques, des petits commerces qui ont de la gueule.

Pour bien connaître Québec, c’est à Limoilou qu’il faut descendre. C’est là que se trouve l’âme de la ville. Si j’avais à choisir un endroit où aller habiter, mettons que mon propriétaire me foutait à la porte sous prétexte que mon poisson rouge dérange les voisins, c’est dans Limoilou que j’irais.

La semaine dernière, un collègue a fait circuler à l’interne un courriel annonçant un beau huit et demie à louer dans ce coin de la ville. Quelque chose de pas trop cher, le genre d’occasion qui ne passe pas souvent et qui m’a donné envie de casser mon bail sur un coup de tête, ayoye !

Hélas, à en juger par mes observations et les commentaires de lecteurs, la vie de quartier en arrache de plus en plus dans Limoilou. La semaine dernière, je vous parlais de la paroisse Stadacona, dont l’école et l’église sont menacées de fermeture. C’est toute la vie communautaire qui est ici en jeu. Mardi soir prochain, un groupe de résistants tiennent d’ailleurs une petite manifestation pour sensibiliser les élus municipaux à leurs doléances. Allez faire un tour, vous allez rencontrer plein de monde fin et gentil.

La vie de quartier, c’est une foule de petites choses, des petits riens qui font toute la différence. Ce n’est pas seulement des voisins qui se parlent et se donnent des coups de main, mais c’est aussi une école pour les marmots, une église lorsqu’on a soif de spiritualité ou d’un peu de calme, une caisse populaire pour aller négocier un prêt pour son auto neuve, une épicerie pour la grosse commande de la semaine, un dépanneur pour la pinte de lait qui manque, un bar sympa pour un 5 à 7 avec les copains. Lorsqu’ils en viennent à disparaître, tous ces endroits créent un vide immense dans un quartier.

C’est le cas, par exemple, de l’épicerie Métro Jos Simard, au coin de la 4e Avenue et de la 16e Rue. Le commerce a fermé ses portes le 14 janvier. C’était la seule épicerie du coin. Pas une grosse épicerie, mais les gens du quartier comptaient sur elle pour se dépanner. C’est sans doute ce qui est arrivé. Une épicerie qui joue au dépanneur finit par ne plus faire ses frais. Les patrons de Métro ont regardé les chiffres : pas assez rentable.

Il y avait en plus des réparations à faire, alors on a décidé de mettre la clé dans la porte. Dorénavant, les gens du quartier devront aller plus haut, au gros Loblaw, coin Henri-Bourassa et autoroute de la Capitale, ou plus bas, au IGA.

Pour André Ouellet, qui habite la 17e Rue depuis une quinzaine d’années, la fermeture de l’épicerie Jos Simard est un autre deuil à faire. Ce n’était pas une épicerie fine, comme il en pousse un peu partout, mais les clients y trouvaient un peu de tout.

M. Ouellet commence à avoir l’habitude de voir son quartier se transformer, et pas nécessairement pour le mieux. Depuis que ce père de famille a emménagé dans le quartier, il a vu fermer quelque chose comme quatre caisses populaires, trois églises, trois écoles, cinq ou six dépanneurs, il ne sait plus trop. Lorsqu’il y pense bien, il y a presque seulement les bars qui ont survécu, et encore.

Cycle normal de la vie économique et sociale d’un quartier central, direz-vous ? Peut-être, mais le phénomène semble s’amplifier dans Limoilou. Il y a de moins en moins d’enfants, la commission scolaire doit alors les regrouper dans la même école pour faire des économies. Les gens vont de plus en plus dans les grandes surfaces pour économiser, au détriment de petits commerces qui tirent le diable par la queue et finissent par fermer.

« Je m’inquiète pour mon quartier. Je commence à me poser des questions. On s’en va où ? Chose certaine, ça ne va pas en s’améliorant », laisse tomber André Ouellet, chauffeur sur les plateaux de tournage.

Ce père de deux enfants regarde aller les choses et n’aime pas ce qu’il voit dans son coin. Comme, par exemple, les prostituées qui, chassées du nouveau quartier Saint-Roch, viennent maintenant faire le trottoir de l’autre côté du pont. C’était à prévoir. Les policiers ont beau chasser les filles de la rue Saint-Joseph et ses environs, elles finissent par atterrir ailleurs, dans Saint-Sauveur ou Limoilou. On fait seulement changer le mal de place. Lorsque la grogne populaire deviendra trop forte dans Limoilou, elles iront ailleurs, peut-être retourneront-elles dans Saint-Roch.

Malgré tout, André Ouellet n’a pas envie une miette de déménager. Il aime trop Limoilou. « Je vous le dis, la prochaine place qui va se développer à Québec, c’est ici. Ça va devenir le prochain quartier Montcalm. »


3 février 2005. Reproduit avec autorisation

Voir aussi : Arrondissement Limoilou.


84 commentaires

  1. Simon Bastien

    4 février 2005 à 16 h 34

    C’est le genre de problème qui risque de s’étendre à d’autres quartiers, avec le vieillissement de la population et l’étalement urbain. Lorsqu’une église ou une école sont sur le point de fermer, c’est vraiment le début de la fin. Il semble qu’il n’y ait plus d’argent pour cela. Mais il faut trouver des solutions qui vont s’appliquer ailleurs car le cas de Limoilou n’est pas unique.

    L’interventionnisme du gouvernement ne fait pas partie de mes valeurs, mais le support des installations communautaires qui donnent une âme à un quartier comme une école et une église qui héberge des organismes d’aide doit faire partie de son mandat, plutôt que de vendre de l’alcool à tous les coins de rue, par exemple. S’ils ne donnent pas l’exemple, qui va le faire?

    Que les entreprises qui vivent pour leur profit soient là ou il y a de l’argent, soit. Leur rôle n’est pas de jouer au bon samaritain. Mais si des bannières comme Inter-Marché ou Marché Richelieu peuvent vivre dans le centre ville ou sur une rue du quartier Saint-Rodrigue, pourquoi il y en a pas pour remplacer le Métro de Limoilou? Ne serait-ce pas l’idéal comme solution de remplacement? N’y-a-t’il pas suffisament de clientèle pour investir dans le coin? Qu’on soit riche ou pauvre, tout le monde doit manger!

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  2. Jean Cazes

    7 février 2005 à 23 h 56

    Je vais me lancer une petite fleur: j’ai pris l’initiative, il y a une dizaine de jours, d’écrire au journaliste pour l’inviter à écrire sur le « petit drame » de la fermeture du Métro de Limoilou tout en l’invitant, bien sûr, à visiter Québec Urbain!

    Si mon commentaire – ajouté à d’autres reçus sans doute par la suite -, auront comme effet de relancer un nouveau projet d’épicerie de quartier dans mon coin, tant mieux…

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