Québec Urbain

L’Urbanisme de la ville de Québec en version carnet…


Le Manège militaire méconnu de Beauport

Par Envoyer un courriel à l’auteur le 21 juillet 2010 19 commentaires

La plupart des gens connaissaient l’existence du Manège militaire de Québec qui a connu une fin tragique alors qu’un incendie très violent l’a détruit un 4 avril en 2008. Toutefois, saviez-vous qu’un autre manège était sur le territoire de la Ville de Québec? C’est certes un bâtiment plus modeste, mais il va tout de même fêter ses 100 ans d’existence en 2014. Voici le fruit de nos recherches et notre visite du Manège militaire de Beauport.

La construction

Le manège a été construit en 1914 au début de la Première Guerre mondiale. Son terrain est donné à la Défense nationale par Joseph-Edouard Bédard, ancien bâtonnier du Québec (1900-1901) et ancien maire, et aussi par Edmond Giroux, agent d’assurance et maire à l’époque du village de Beauport. Selon l’acte de cessation, le bâtiment qui sera construit dans le but « d’encourager l’instruction militaire et la gymnastique dans la paroisse de Beauport ».

Aussi, en relisant l’acte de vente (No 149115 – Beauport), on peut lire cette clause très intéressante:

Si le Gouvernement venait à abandonner ce Manège, le terrain devra nous revenir de plein droit. (…) Le dit Manège sera entretenu par le Cessionnaire à ses dépens. Si pendant deux ans consécutifs le cessionnaire cessait d’employer le dit immeuble comme Manège et de l’entretenir suivant sa destination, cet immeuble ferait retour de plein droit aux cédants ou à leurs représentants légaux et ce sans indemnité de part ou d’autre.

Il faudrait demander aux héritiers des familles Bédard et Giroux s’ils surveillent de près la nature et le niveau d’activité des Forces canadiennes dans ce bâtiment. :-)

Le premier camp de concentration permanent au Québec

C’est un fait sombre et très méconnu, mais la région de Québec a accueilli deux camps de concentration pour emprisonner des citoyens originaires des pays de l’Europe de l’Est pendant la Première Guerre mondiale. Le premier camp au Québec fut emménagé au sous-sol de ce Manège militaire et il a servi à emprisonner environ 12 personnes à la fois pendant les années 1914 à 1916. Le second camp avait été établi à Shannon en 1915 sur le site du Camp militaire Valcartier ouvert l’année précédente.

Les prisonniers étaient d’origine ukrainienne, austro-hongroise, suisse, russe, turque et bien évidemment allemande. Selon le récit de plusieurs sources, les prisonniers étaient très bien traités aux deux endroits. Les prisonniers se plaignaient d’ailleurs du manque d’activités pour se désennuyer dans l’édifice de Beauport. On emprisonnait des familles entières incluant les enfants à cette époque. Il a été impossible de savoir si des enfants ont été détenus à Beauport même.

D’ailleurs, une cérémonie de commémoration de ce troublant fait historique a été tenue devant l’édifice le 30 septembre 2006:



La plaque de cuivre extérieur de 2006 a été malheureusement volée. L’association a produit une seconde plaque qui a été installé à l’intérieur.

Les prisonniers ont des noms

Voici des noms de personnes qui ont été détenus à Beauport. Cette liste partielle a été compilée grâce aux informations sur le site de l’Association ukrainienne-canadienne des droits civils. Les « roll call » officiels auraient été détruits.

  • Todar Chernei
  • Georgie Meroniuk
  • Mille Cvitkovic
  • John Sokolowsky (Autriche)
  • Antoni Swiertkowski
  • Nikola Derryk (Autriche)
  • Frans Travinczek

Les occupants militaires à travers les années

Dès sa construction, il accueille le 87th Quebec Regiment qui changera de nom pour le Régiment de Québec en 1920. Ce régiment est déménagé en 1942 pendant la Deuxième Guerre mondiale dans les Maritimes et plus tard à Terre-Neuve jusqu’en 1954. Il revient alors à Beauport jusqu’à son démantèlement en 1954. Plusieurs unités se succèdent dont les Voltigeurs jusqu’en 1970, année où 713e (Québec) Escadron des communications s’installa jusqu’à ce jour.

Les Voltigeurs avaient amménagé l’escalier pour que les pièces d’artillerie puisse être entré à l’intérieur, les roues passant de chaque côté de l’escalier.

Le 713e Régiment des communications (Beauport)

L’unité voit le jour en 1920 sous l’appellation de la 5e compagnie du Corps royal canadien des signaux et elle est localisée au Manège militaire de la Grande-Allée. Avec le temps, l’utilisation des ondes radio dans les opérations militaires prend de plus en plus d’importance et celle de l’unité s’en suit. En 1922, elle devient le 5 Signals Battalion Canadian Corps of Signals. En 1970, elle déménage finalement à Beauport sous l’appellation du 713e (Québec) Escadron des communications pour devenir un régiment et prend son nom actuel du 713e Régiment des communications (Beauport).

L’emblème du 713e Régiment des communications

Le bâtiment aujourd’hui

Le bâtiment semble avoir changé de revêtement extérieur. La couleur de la brique ne semble pas celle d’origine. D’ailleurs sur les photos les plus anciennes, il n’y avait pas de brique sur les côtés. La hauteur des deux tours a été abaissée. Selon le 713e régiment, les tours actuelles étaient là en 1970 lorsqu’ils ont pris possession des lieux. L’arrière du bâtiment est en bois recouvert de tôle métallique.

L’arrière du manège. L’extension sert de bric-à-brac, tel que le montre la photo de droite.

Lorsqu’on rentre par la porte d’en avant, on arrive dans un court corridor bordé par quelques bureaux. Au bout du corridor, on se rend dans le gymnase. Le plafond de la salle de gymnase a été abaissé pour permettre son isolation. Originalement, le bâtiment avait un plafond cathédrale. Il y a un mess au rez-de-chaussée.

La salle principal, utilisée entre autre comme gymnase.

Le mess du rez-de-chaussé. On montre à droite la cloche qui trône dans tous(?) les mess des Forces. Celui la fait sonner paie la tournée!

Le deuxième étage est occupé principalement par le mess des officiers. Le troisième étage donne l’accès aux combles du gymnase et à quelques bureaux, dont ceux à l’intérieur des tours.

Le sous-sol de l’édifice contient la machinerie pour le chauffage. Il y a des salles de bain et douches et une salle de conférence. L’ancienne voûte cryptographique avec ses 4 serrures distinctes (clés détenues par 8 personnes) est maintenant vide puisqu’elle a été déménagée. Vers l’arrière du sous-sol, on peut voir l’ancienne voûte des armes. Dans le sous-sol, nous n’avons pas vu de traces témoignant de son ancienne utilisation en tant que centre de détention.

Le plus très jeune escalier menant au sous-sol, et l’ancienne voûte cryptographique aux 4 serrures

À gauche, la salle de conférence. Au bout, la trappe semblait connecter avec l’exterieur du bâtiment lors d’un autre temps. À droite, on voit la salle des machines.

Le Bureau d’examen des édifices patrimoniaux du gouvernement fédéral a reconnu la valeur patrimoniale de l’édifice en 1991.

Le 713e Régiment est maintenant installé aussi dans l’ancien local d’Ameublement Tanguay sur le boulevard Ste-Anne. Les activités principales ont été déménagées dans ce nouveau bâtiment plus grand.

Le bureau de Commandant et une armoire à souvenir.

Les combles, maintenant isolés.

Standard drill plan, document sur lequel le manège est basé. À droite, le compte rendu des activités du 7 décembre 1921.

Références et sites d’intérêt

Voir aussi : Arrondissement Beauport, Histoire, Infrastructures sportives, Patrimoine et lieux historiques.


19 commentaires

  1. Romain

    21 juillet 2010 à 08 h 28

    merci pour l’article !

    J’ai une réserve sur un point : devrait-on vraiment parler de « camp de concentration » pour les années 1914 à 1916? Cela laisse croire que les détenus étaient traités de la même manière que ceux ayant existé lors de la seconde guerre mondiale, or dans le texte on lit « Selon le récit de plusieurs sources, les prisonniers étaient très bien traités aux deux endroits ».

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    • Nicolas Roberge Utilisateur de Québec Urbain

      21 juillet 2010 à 10 h 11

      Selon Wikipédia, un camp de concentration est: « On nomme camp de concentration un lieu cloitré de grande taille créé pour regrouper et détenir une population considérée comme ennemie. ». C’est pas mal ça. L’autre terme utilisé est camp d’internement. L’internement signifie : « la détention dans un camp de concentration ». C’est donc le bon terme.

      Effectivement l’expression nous fait penser à ceux de l’Allemagne nazi où on exécutait les détenus. Toutefois, si on regarde des photos d’archive du Camp de Valcartier et du Camp de Spirit Lake, les gens vivait parfois dans des tentes en plein hiver. Ils n’étaient pas violentés, mais on ne parle pas d’un hôtel non plus.

      Les conditions de détention des prisons actuelles semblent supérieures à ce que j’ai vu ou lu sur le sujet.

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  2. jean-philippe dumont

    21 juillet 2010 à 08 h 53

    Article tres interessant Nicolas, aussi bien documenté et présenté que tes articles antérieurs que j’ai également beaucoup appréciés.
    Parlant de manèges militaires (Québec, Beauport etc…), je recommande la visite de celui de Lévis. Il est situé au 10 rue de l’Arsenal (Lévis). Il a été construit en 1911et il abrite le musée du régiment de la Chaudière qui a pris une part très active dans la 1ere et la 2e Guerre mondiale. Il faut sonner et attendre un peu pour avoir droit a une visite du site du manège militaire de Lévis. On peut y aller a pied a partir de la traverse Québec-Lévis. Service hors pair et une tonne d’informations enrichissantes en prime.

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  3. ELalonde

    21 juillet 2010 à 10 h 24

    Merci pour vos articles :-)

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  4. Pier Luc

    21 juillet 2010 à 10 h 26

    Assez méconnu pour nous mais pas pour les pompiers. C’est là qu’ils se sont rendus quand l’alerte a été donnée…

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  5. julien Utilisateur de Québec Urbain

    21 juillet 2010 à 11 h 55

    j’imagine qu’il parle de l’incendie du Manège militaire en haute ville…Il me semble qu’il y a eu un délai des pompiers pour se rendre sur place parce qu’ils n’ont pas été au bon manàge militaire..

    (texte édité): Voici le lien pour plus de détails sur la confusion… http://www.cyberpresse.ca/le-soleil/actualites/justice-et-faits-divers/201004/01/01-4266753-lincendie-du-manege-militaire-deux-ans-apres.php

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  6. steve

    21 juillet 2010 à 18 h 12

    Très intéressant, je suis très reconnaissant envers l’auteur lorsque je lis des articles aussi bien réalisé

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  7. Goldoche Utilisateur de Québec Urbain

    21 juillet 2010 à 18 h 27

    Je ne comprends pas pour la nationalité des prisonniers?

    La Russie faisait partie des alliés pendant la 1e guerre mondiale…

    Quant aux Ukrainiens, bien que la plupart vivait en Russie impériale, certains vivaient dans le royaume d’Autriche-Hongrie.

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  8. Alex Caron

    21 juillet 2010 à 23 h 20

    Il y a un trou dans la liste des occupants des locaux. Dans les années 60, le manège hébergeait une batterie (la 54ème si ma mémoire est fidèle) du 6ème régiment de l’Artillerie royale canadienne.

    D’ailleurs, la photo de l’escalier spécialement aménagé est là pour en témoigner, c’est par là que les canons Howitzer 105mm étaient entrés dans le manège. Soulignons que les Voltigeurs ne sont pas des artilleurs, mais plutôt un régiment d’infanterie.

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  9. Pier Luc

    23 juillet 2010 à 18 h 58

    Ça reste assez gros tout de même.

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