Québec Urbain

L’Urbanisme de la ville de Québec en version carnet…


Des idées en l’ère – L’esprit de lord Dufferin

Par Envoyer un courriel à l’auteur le 14 janvier 2012 15 commentaires

Antoine Robitaille
Le Devoir
14 janvier 2012

Je pense beaucoup à lord Dufferin ces temps-ci. Bon, vous riez. Attendez, c’est plutôt à pleurer. Tous les jours, à Québec, je me rends à pied sur la colline parlementaire. Sur mon chemin, je dois longer le chantier de «L’Étoile». Un gros truc: près de 300 copropriétés, sur Grande-Allée. L’enveloppe extérieure du nouvel immeuble est presque complétée. Neuf étages de banalité compassée, gracieuseté d’un architecte, Pierre Martin. Belle idée que celle de promouvoir la densification urbaine. C’est ce qui rend possible le développement des rues commerçantes vivantes. Et ça relègue les bagnoles au rang de nuisance. Bravo. Mais L’Étoile a un côté noir: pour la construire, il a fallu démolir la superbe chapelle des Franciscaines, grande comme une église et qui datait de 1898.

Les promoteurs, Première classe et Ogesco, ont décidé de garder la partie avant, le monastère, qui donne sur Grande-Allée. Mais au lieu de l’intégrer à l’édifice qu’ils voulaient construire, ils l’ont totalement isolée. Le pauvre bout d’édifice a l’air d’un homme-tronc. Ogesco l’a dépouillé de ses trois clochetons argentés, qui gisent sur le sol à côté de cette portion d’immeuble négligée, aux fenêtres ouvertes aux quatre vents. Des sources proches de la Commission d’urbanisme disent que le véritable but des promoteurs, à terme, est de raser cette vieille chose, ce qui donnerait plus de lumière aux condominiums neufs. On connaît la chanson: «C’est vétuste, trop dégradé, il n’y a plus rien à faire avec ça.» À deux pas de «L’Étoile», un autre promoteur a acheté l’église Saint-Coeur-de-Marie — où Alfred Hitchkock et Robert Lepage ont tourné des scènes respectivement de I Confess et du Confessionnal — afin d’ériger une tour de condos de 25 étages . Il n’a pas encore obtenu les permis…

***

Le lien avec lord Dufferin? Devenu gouverneur du Canada en 1872, il en était venu à appuyer ceux qui militaient contre la démolition des fortifications de Québec. La ville était alors dirigée par une bourgeoisie à l’esprit moderniste cherchant à «en finir avec les vieux murs», note le géographe Rémi Guertin dans La capitale sans ville (Trois-Pistoles, 2011). La position de Dufferin a convaincu les élites de changer leur fusil d’épaule. Si un grand Britannique disait que les remparts désuets pouvaient avoir de la valeur, il fallait le croire! Certes, les petites portes d’origine, dans les fortifications, furent démolies, puis élargies et reconstruites selon l’inspiration du «gothic revival», nouveau à Québec. Cela conduira à la création du «style château» — mélange d’un passé fantasmé et d’une inspiration nouvelle — devenu caractéristique à Québec (Château Frontenac, gare du Palais, etc.). Dans sa thèse, Rémi Guertin développe une théorie intéressante sur le geste de Dufferin. Il parle d’un «piège paysager» et critique une vision conçue pour le tourisme anglo-saxon. Peut-être.

Il demeure que le Québec qui enchante, qui inspire, qui attire, encore aujourd’hui, a pour racine un geste fort de conservation, celui de Dufferin. On peut en dire autant d’un autre, celui de lord Grey, qui eut l’intelligence, quelques décennies plus tard, d’aménager les plaines d’Abraham.

Contrairement à ces lords, le maire de Québec d’aujourd’hui, Régis Labeaume, ne s’émeut guère des démolitions récentes sur Grande-Allée. Lorsque je l’ai interrogé sur cette question en 2009, il m’a répondu qu’il fallait construire le «patrimoine de l’avenir». Belle pirouette. Je me demande toutefois si les millions en argent public dépensés actuellement pour le hockey et les festivals — on casse notre tirelire publique pour faire venir des vedettes rock aux fortunes déjà colossales — ne seraient pas mieux investis, au moins en partie, dans plusieurs gestes à la Dufferin: conserver, restaurer, extrapoler, enjoliver. Nos vieilles églises, par exemple, le mériteraient. Bon, vous riez encore! Pourtant, je suis très sérieux, comme un lord.

Un billet précédent

Voir aussi : Arrondissement La Cité-Limoilou, Condo, Patrimoine et lieux historiques.


15 commentaires

  1. Raymonde

    14 janvier 2012 à 15 h 27

    Les mots me manquent pour vous exprimer mon appui. Non je n’ai pas envie de rire quand je pense à ce que Québec devient peu à peu: une ville sans âme, surtout après avoir visionné cette semaine Des racines et des ailes » sur Albi qui, tout un événement pour les citoyens, a été admis au patrimoine mondial de l’Unesco. Ils en sont fiers et le font savoir. La vieille ville n’est pas pour eux une honte mais une fierté contrairement au dédain avec lequel notre maire parle de la « Vieille Capitale » oubliant le sens de l’histoire. Albi est un exemple de mariage entre l’ancien et le contemporain. La vieille ville n’est pas transformée en musée, il y a même une résidence pour aînée dans un des hôtels particuliers. Beaucoup d’inspiration pour Québec. Des visites des écoles sont organisées à l’intérieur des cours d’histoire. Ici on préfère le Red Bull Crushed Ice en face du Château, notre maire impresario n’a pas de limites dans ses idées farfelues.
    La Grande Allée n’est pas incluse dans l’arrondissement protégé par l’Unesco mais le voisine et devrait refléter notre fierté d’être intégrée au patrimoine mondial. C’est un atout pas assez exploité. Albi a fait un film 360 degrés de la ville. J’ai parfois honte d’être québécois. À Florence notre guide était ravie de pouvoir parler avec des résidents de Québec de la ville dont elle était tombée amoureuse, et pourtant Florence est un joyau. Si notre petit Napoléon pouvait ouvrir de temps des livres d’histoire et d’art plutôt que de faire de la pub pour St-Hub ou compiler les statistiques du hockey!!!!!

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    • nietnietniet

      15 janvier 2012 à 17 h 52

      « Red Bud crused ice » !! C’est une blague ou un réel lapsus ? L’idée est tellement farfelue comme vous dite que des milliers de personnes viennent y assister à chaque année. En plus je ne vois pas le lien entre le dead bull brushed ass euh pardon red bud crused ice et le fait de démolir la chapelle des Franciscains.

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  2. Davedeux

    14 janvier 2012 à 16 h 12

    Ce que je constate à la lecture de ce document, c’est l’emplois
    des mêmes arguments de « modernité » pour justifier la saccage
    de la ville. Cette destruction fut joyeusement accélérée sous le
    règne de Lamontagne dans les années 60. Ce dernier s’appuyant
    sur un argumentaire qui encore aujourd’hui est bien présent.
    Sous un faut couvert de discours moderne, la mairie utilise
    le même argumentaire du 19ème siècle. Vraiment, une grande
    évolution depuis 150 ans.
    Une chose est sûre, si nous ne sortons pas de cette schizophrénie
    urbaine, Québec restera encore et toujours une époque en arrière.

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  3. Georges Antoine

    14 janvier 2012 à 17 h 05

    Je suis contre la démolition d’édifices patrimoniaux pour faire des condos, comme l’auteur, mais je ne peux m’empêcher de noter une incohérence dans le texte.

     »… il a fallu démolir la superbe chapelle des Franciscaines, grande comme une église et qui datait de 1898. »

     »Le lien avec lord Dufferin? Devenu gouverneur du Canada en 1872, il en était venu à appuyer ceux qui militaient contre la démolition des fortifications de Québec. »

    Bref, la chapelle des Franciscains date de l’ère post-Dufferin et à moins qu’elle ait été construire sur un terrain vague, sa construction a nécessité la démolition d’un édifice plus ancien!

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    • Donovan

      15 janvier 2012 à 16 h 50

      Aucun bâtiment a été démoli pour construire la chapelle des franciscaines. Il n’y avait rien sur ce site à l’époque de Dufferin. C’était la campagne. Pour un certain temps on pensait y construire l’école normale Laval, mais cela ne s’est pas fait. Le terrain d’exercice du Q.A.A.A. (Quebec Athletics Amateur Association) et la chapelle des franciscaines s’y installent dans les années 1890.

      Il est vrai qu’il faut parfois démolir pour construire le patrimoine de demain. Cela dit, il faut s’assurer que l’édifice de remplacement sera une amélioration. Le nouvel édifice du MNBAQ qui remplacera le monastère des dominicains signé REM Koolhaas sera sans doute une amélioration. Cela n’est pas le cas des condos l’Étoile – une affreuse juxtaposition de cube vitré sur un édifice patrimonial tronqué. J’aimais bien la silhouette de tourelles et coupelles de l’ancien édifice, un bel ensemble fin-19e – le nouvel édifice ressemble à une solution de compromis avec très peu de recherche architecturale.

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  4. Jeff M

    14 janvier 2012 à 21 h 04

    Je ne suis pas vraiment ému par tout ça. Je concède que la Chapelle des franciscains n’est pas bien intégrée à son nouvel environnement. Mais à écouter certains, on tomberait dans un conservatisme à outrance. Pour moi, la limite à ne pas franchir serait la démolition de l’église Saint-Coeur-de-Marie, bien plus intéressante que l’ancien patro St-Vincent de Paul ou le monastère des dominicains par exemple. Je suis de ceux qui croient que la mordernité et l’ancien peuvent bien se marier si c’est fait intelligemment. Le nouveau bâtiment de la Capitale par exemple sera orné d’une tourelle qui donnera un profil au skyline rapellant un cloché d’église. C’est le propre d’une ville vivante de montrer une certaine évolution, sans nécessairement faire table rase du passé.

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    • Léonce Naud

      15 janvier 2012 à 16 h 27

      Un truc pour s’amuser à peu de frais. On pose la question suivante à un architecte : « À quel endroit est née l’architecture « moderne » ? Devant son air dubitatif, on ajoute sournoisement : « Ce type d’architecture est certes né quelque part. Vu que ce n’est pas à Rimouski, ni à Roberval, ni à Saskatoon, ni à Beauport, ni à Kaboul, ni à Mexico, ni chez les Papous, c’est sûrement ailleurs…mais où ? »

      Voilà une énigme digne des fins limiers de Québec Urbain…

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      • Yvan Dutil

        15 janvier 2012 à 17 h 07

        Weimar (Allemagne). Mouvement Bauhaus.

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      • Léonce Naud

        16 janvier 2012 à 20 h 02

        Bonne réponse du collègue Dutil ! Papous, Beauportois ou Mexicains n’ont donc rien à voir avec l’émergence de l’architecture « moderne ».

        Maintenant que nous sommes en Allemagne, reste à savoir à quelle époque est né ce mouvement Bauhaus et quels étaient les principaux ingrédients – philosophiques, sociaux, techniques, économiques, politiques, voire même religieux – de la soupe identitaire et idéologique dans laquelle baignaient ses géniteurs.

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  5. fernand Utilisateur de Québec Urbain

    15 janvier 2012 à 11 h 47

    Ce qui attire les touristes est le charme de la vieille europe en amérique française. À force de modernité et de densification, on fera comme toutes les villes nord américaines qui se cherchent une âme…

    Les balafres de la modernité sur l’artère principale d’accueil des touristes commencent à être nombreux. Ne tombons pas dans l’accès, nous y perdrons notre âme pittoresque qui fait son charme.

    Moi qui est né à Québec, je suis de moins en moins attiré par les « nouveautés » de la haute-ville. Le maire a dit d’oser mais pas au nom de changer son aspect pour en faire une ville aussi moderne qu’ailleurs.

    Ne vous fatiguez pas, il n’y a pas seulement dans cet arrondissement qu’on bafoue le patrimoine bâti. Allez sur la’avenue Royale à Beauport. Dans sa partie historique trois nouveaux édifices modernes ont été construits en 2011… Faut croire que respecter la trame urbaine n’est pas le principal souci du maire…

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  6. Raymonde

    15 janvier 2012 à 11 h 55

    Je vous suggère d’aller voir ce qui se fait à Albi à http://bit.ly/xp3jUd

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  7. Omer

    15 janvier 2012 à 12 h 53

    Je passe 2X par jour sur la côte d’Abraham et à CHAQUE fois, je ne peux m’empêcher de revoir dans ma tête l’ancienne facade de l’Église tout juste à côté de l’autouroute Dufferin, porte d’entrée de la Ville. C’était tellement beau et cela donnait une couleur historique.

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  8. Pierre Bouchard

    15 janvier 2012 à 18 h 25

    L’article de M.Robitaille est tout à fait juste et qu’il se serve de son pouvoir de journaliste pour intervenir sur la destruction des bâtiments historiques est plus que nécessaire à Québec. Détruire le patrimoine c’est détruire la trace du passé lointain dans une ville comme du 19ème siècle, l’avant dernier siècle qui est celui de la rencontre de la civilisation artisanale et industrielle. Pour comprendre ça, il faut du recul, connaître l’histoire.

    l’église Saint-Coeur-de-Marie, quel sort l’attend?
    Les gens devraient réagir.

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  9. jac

    15 janvier 2012 à 23 h 55

    « La notion de patrimoine architectural, urbain ou paysager, ne peut avoir de sens légitime que dynamique. C’est-à-dire qu’il ne faut pas le chosifier, mais au contraire se le réapproprier, pour poursuivre, hic et nunc, le travail des générations passées. En ce sens, je dirais : utopie et patrimoine, même combat. »
    (Francoise Choay)

    A partir de cela:
    -Le Patrimoine est vital pour une ville comme Québec…
    -La « Novation » (Le Nouveau) est vital pour une ville comme Québec

    Il faudrait remplacerer l’idée de « Sacralisation du Patrimoine » par l’idée de « Dynamisation du Patrimoine urbain »
    Car
    « La notion de patrimoine architectural, urbain ou paysager, ne peut avoir de sens que dynamique. » (F Choay)
    ……………………………………………………………………………………..
    Ps; Le régime Lallier a mis en oeuvre ce concept de patrimoine dynamique; ce qui prouve que ce ne sont pas que des concepts abstraits!

    J’ai l’impression que le vrai test pour le régime Labeaume sera l’Église St-Coeur-de Marie et l’agrandissement de l’Hotel-Dieu qui demanderait vigilence…

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