Baptiste Ricard-Châtelain
Le Soleil
Peut-être l’avez-vous lu au cours des dernières semaines : la Ville accélèrera la cadence de plantation d’arbres pour engraisser la forêt urbaine, reboiser les quartiers centraux.
Comme le rapportait récemment le collègue Jean-François Néron, en sept ans, quelque 100 000 plants pourraient être repiqués. L’administration municipale répond ainsi aux doléances de résidents secoués par l’annonce de l’abattage de quelque 1701 arbres le long du trajet du futur tramway.
Au cours d’un long entretien virtuel avec Le Soleil, la conseillère municipale Suzanne Verreault, porteuse du dossier environnemental dans l’Équipe Labeaume, nous dit avoir été frappée par la réaction de ses concitoyens: «Le grand coup, ça été vraiment le trajet du tramway, lorsqu’on a parlé de la possibilité d’abattre 1701 arbres. […] On a senti que la population avait une très grande préoccupation.»
«On ne peut pas juste dire aux gens qu’on va couper 1701 arbres. Ça ne se fait plus, on n’est plus à cette époque.» Il faut expliquer et compenser.
Voilà pourquoi la Ville distribue ses dollars.
D’abord pour payer les 100 000 arbres à planter d’ici 2027 : «C’est 30 millions $ sur 7 ans qu’on va investir.»
Aussi, pour la création de la Chaire de recherche sur l’arbre urbain et son milieu à l’Université Laval : 2 millions $.
Puis, pour les propriétaires de la pépinière Moraldo, plantée depuis plus de 60 ans à l’extrémité ouest du chemin Saint-Louis. Ils toucheront 2,4 millions $ pour l’entreprise évaluée par la Ville à 770 000 $. On y fera de l’expérimentation et de la vulgarisation.
Pas de lien
Des débours qui n’ont rien à voir avec la difficulté éventuelle de respecter l’engagement pris dans la Vision de l’arbre 2015-2025, assure Mme Verreault. «Ce n’est pas parce qu’on craint ne pas atteindre notre objectif, […] ce n’est pas parce qu’on est convaincu qu’on va rater notre cible de 3%.»
Néanmoins, selon des documents officiels, la Ville fait face à des «défis importants» qui freinent l’atteinte de l’objectif «ambitieux» de passer de 32 % à 35% de couvert forestier dans le périmètre urbanisé de la capitale d’ici les 5 prochaines années. Voilà, entre autres, pourquoi on finance la chaire de recherche de l’Université Laval; on a besoin d’aide.
«Aujourd’hui, pour moi, c’est toujours possible d’atteindre ces cibles-là. […] Évidemment ça comporte de grands défis.»
À très très long terme
Aux côtés de Mme Verreault durant notre entretien virtuel, l’ingénieur forestier municipal Ghislain Breton ne s’accroche toutefois pas trop à l’engagement pris dans la Vision de l’arbre 2015-2025. Il regarde déjà bien plus loin quand il planifie l’évolution de forêt urbaine de Québec. «La foresterie, c’est du très très très long terme.»
Dix ans, dans la vie d’un arbre, c’est court.
Chef d’équipe – Développement et aménagement du territoire au Service de la planification, de l’aménagement et de l’environnement, Ghislain Breton compte plutôt en siècles. «Habituellement, les cycles forestiers se calculent sur une centaine d’années. La canopée que l’on voit aujourd’hui, ce sont les plantations des années 1930, des années 1950. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui ces arbres sont à maturité, sont à plein déploiement. […] Ce qu’on fait aujourd’hui, le résultat va se voir dans plusieurs années.»
Il est peu probable que la forêt urbaine de la capitale engraisse au cours des prochaines années, même du 3% promis dans la Vision de l’arbre 2015-2025. En fait, la canopée de Québec pourrait rétrécir.
«Dans le contexte actuel, avec l’agrile en particulier, je ne suis pas convaincu que cet objectif va être atteint. […] Ça va être extrêmement difficile», évalue le professeur Jean-Claude Ruel, de la faculté de foresterie de l’Université Laval et cotitulaire de la Chaire de recherche sur l’arbre urbain et son milieu créée grâce à un financement de 2 millions $ de la Ville. Il est un des rares spécialistes en foresterie urbaine.
«Même juste de maintenir la canopée» serait surprenant.
La volonté ne manque pas dans les officines de la Ville, observe-t-il. La nature est cependant parfois plus forte que l’humain.
À commencer par le «fléau» de l’agrile du frêne, cet insecte qui tuera pratiquement tous les arbres de l’espèce. «Il va y avoir des pertes importantes au niveau de la canopée», avertit-il. «L’impact de l’insecte se fait à vitesse grand V.»
Des frênes, à Québec, il y en a des dizaines de milliers. Autour de 200 000.
«La Ville arrête complètement les plantations de frênes, mais il y a des quartiers complets où le frêne est l’espèce dominante.» Ils vont mourir.
La Ville sait et tente d’étirer la vie des plus vigoureux le temps que de faire pousser d’autres arbres. «[C’est] pour ne pas vivre une grande déforestation urbaine d’un coup», explique l’élue Suzanne Verreault.
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