François Bourque
Le Soleil
Après treize années à l’hôtel de ville marquées par l’effervescence et une confiance collective ragaillardie, le maire Régis Labeaume se rend aujourd’hui à l’évidence.
«On est en train de retomber dans nos vieux démons d’avant 2008. C’est exactement ce qu’on est en train de faire».
«La fierté de 2008, elle est rendue où?» demande-t-il. «On avait compris qu’on était une ville ambitieuse, attrayante, l’avenir était à nous autres. Qu’est-ce qui se passe?»
Il ne saurait dire pourquoi. «Ça doit être dans notre ADN», suggère-t-il, un peu fataliste.
Nous en étions alors à faire le point sur le projet de tramway. Malgré sa nostalgie des années folles, les critiques et la tiédeur du gouvernement Legault, le maire dit ne pas sentir son gros projet menacé. Pas même s’il devait y avoir une récession.
«François Legault va le faire [le tramway]. J’ai confiance au premier ministre».
N’empêche qu’on sent le maire agacé.
«On était partis pour la gloire et on accepterait que dans notre ville qu’on embellit de jour en jour, on voudrait pas avoir un investissement de 3 milliards pour se bâtir un tramway?»
Cela lui paraît invraisemblable. «Comment tu veux qu’il [gouvernement Legault] fasse des projets de transport structurant à Montréal et qu’il passe par-dessus Québec? Ça n’arrivera pas», tonne-t-il, comme s’il avait besoin de s’en convaincre.
« François Legault va le faire [le tramway]. J’ai confiance au premier ministre »
— Le maire Régis Labeaume
(…)
Le maire Labeaume n’en veut pas au gouvernement Legault de le laisser seul défendre le tramway. Ou si c’est le cas, il n’en laisse rien paraître.
Son analyse du paysage politique est la suivante:
Les députés de la CAQ à Québec ont été élus sur la promesse d’un troisième lien et «veulent livrer la marchandise».
«Moi, je les énerve parce que je suis pressé». Cela place le premier ministre dans une situation délicate.
«Quand il va parler du tramway, il faut qu’il parle du troisième lien». Le problème est que le projet de troisième lien n’est pas prêt. «Le premier ministre, il faut qu’il me ralentisse, c’est ça sa job, pour servir sa clientèle troisième lien».
«Politiquement, je le comprends. Ça ne veut pas dire que ça fait mon affaire».
Viendra un moment ou il faudra que «tout le monde dise la même affaire en même temps», pense M. Labeaume. «Là, il y a distorsion actuellement. Ce qu’il faut, c’est la transparence des intentions».
«Beaucoup de gens ne sont pas sûrs que le projet va se faire. C’est ça qui crée une ambiguïté. Le monde a une patte en l’air». Il y a «encore un maudit paquet de gens à Québec qui pensent qu’ils peuvent avoir un métro».
Cette transparence des intentions, elle viendra vraisemblablement en novembre, après le rapport du BAPE. En attendant, la Ville de Québec a tous les moyens légaux et l’argent nécessaire pour continuer à avancer, assure-t-il.
Il a parlé pour la dernière fois à François Legault au début de l’été, le 26 juin. Il était même au cabinet du PM le jour où celui-ci a mis émis des doutes sur la nouvelle mouture du tramway et insisté sur la nécessité de desservir les banlieues.
L’hypothèse du maire est que M. Legault ignorait alors le projet de desserte des banlieues du nord que la ville venait de rendre public quelques jours plus tôt. L’annonce s’était probablement perdue dans les bruits de la COVID, suggère-t-il.
Dans les faits, on n’a «jamais eu une toile aussi développée de transport collectif régional», plaide le maire. «Ce qu’on fait dans la couronne périphérique est beaucoup plus importante que le trambus» qui vient d’être abandonné.
Hormis la demande de rendre public le plan d’affaires du projet de tramway, on n’a pas entendu le maire se plaindre du BAPE, même si ce fut un passage difficile.
«Un BAPE, c’est pas fait pour les bonnes nouvelles, c’est fait pour les gens qui s’inquiètent», philosophe-t-il.
À ceux qui s’inquiètent de la disparition de nombreux arbres le long du trajet, notamment sur René-Lévesque, il avait ceci à dire:
Pas question de retrancher une voie de circulation pour sauver des arbres, comme des citoyens et groupes l’ont proposé.
Mais la Ville embauchera les spécialistes les «meilleurs au monde» pour essayer d’en sauver un maximum.
«Money is no object. On a l’argent pour le faire. Quand ce sera pas possible, on va aller voir chacun des individus et lui demander ce qu’il veut devant chez lui. On va faire tout ce qu’ils veulent».
Le maire convient que son administration a probablement été trop silencieuse à expliquer le projet de tramway, ce qui a pu contribuer à une baisse d’acceptabilité sociale.
«À cause de la COVID, on n’a pas fait le programme de promotion prévu». dit-il.
Mais la COVID n’explique pas tout. Il y a aussi que Québec ne voulait pas exposer trop vite le projet dont elle ne connaissait pas tous les détails. Elle en paye aujourd’hui le prix. Comme elle en avait payé le prix lorsqu’elle avait gardé le silence pendant que le défunt projet de SRB était malmené sur place publique.
Bien que les contrats avec le consortium choisi ne seront pas signés à l’automne 2021, M. Labeaume ne croit pas que le tramway deviendra l’enjeu unique de la prochaine élection.
«Les élections référendaires, ça marche pendant une semaine, dix jours, puis après ça, c’est terminé».
«Le monde ne sortira pas en masse en novembre 2021 pour cracher sur 3 milliards $ dans l’état où sera l’économie probablement». Ajoute-t-il.
Ça reste à voir.
Labeaume s’en va-t-en-guerre (une fois de plus) Mario Girard (La Presse). Un extrait:
Le problème que rencontre le projet de tramway du maire Labeaume, c’est qu’il côtoie celui du troisième lien qui unira Lévis et Québec par un tunnel routier. Le mariage entre ces deux mégaprojets est difficile. Plusieurs voix se sont élevées récemment pour réclamer la fusion des deux bureaux de projet. « L’un des problèmes, c’est qu’il y a encore des gens qui pensent que l’on peut avoir un métro, reprend Labeaume. Le gouvernement garde les citoyens une patte en l’air avec ça. Le gouvernement a promis un troisième lien. Les élus de la CAQ de la région de Québec ont été élus là-dessus. Nous, on est prêts avec notre tramway, mais le gouvernement essaye de nous gérer pour gagner du temps avec le troisième lien. » Avec quoi exploiterait-on ce troisième lien ? Des autobus électriques ? Un train léger ? Je demande à Régis Labeaume quelle est sa vision de ce projet. « Mon cher monsieur, je vais vous renvoyer au ministère des Transports, moi, je gère ma bâtisse.»
Une entrevue à la radio de Radio-Canada


























